Le lever du soleil
travailleur, lut. Relut. Il comprenait chaque mot et chaque mot le sacrait. Le valet des Colonna, le capitaine du pape atteindrait le firmament : gouverner le plus grand royaume du monde connu. Et certainement de l'autre aussi.
- Votre Eminence est trop bonne. Yé né souis...
- Pas avec moi, Colmardo ! Jouez le faquin avec les princes du sang, les maréchaux, les courtisans, les importants qui n'ont plus aucun pouvoir sinon celui d'être les rapaces des provinces dont ils possèdent le gouvernement. Inutile de jouer les humbles, vous ne l'êtes pas ! Et ne le soyez plus jamais avec moi. Ni avec le Roi. Ni avec la Reine. Cette lettre est une recommandation à
Sa Royale Majesté. A mon dernier souffle, il n'y aura que vous à
ses côtés.
- Et si Sa Majesté refuse...
- Sa Majesté s'agace contre moi, se plaint à Cinq-Mars, cet imbécile qui colporte ces plaintes dans tout Paris, mais ne sait pas qu'elles ne sont que bouffées de chaleur, exhalaisons d'un esprit un peu étouffé, il est vrai, sous les exigences de ma volonté. Mais le Roi est un roi intelligent qui, toujours, s'est appuyé sur moi pour gouverner ce pays que nous avons trouvé, lui et moi, déchiqueté. Des lambeaux de royaume recousus par nos soins. Donc Louis le Juste vous agréera.
Le Cardinal grimaça, changea de position dans ses coussins, Mazarini fit mine de se lever pour l'aider, un regard et un simple geste de la main le rassirent.
- Il faut mon ami vous préparer à cela. Vous me suivrez désormais chaque fois que je paraîtrai à la Cour. Vous parlerez au Roi, vous parlerez à la Reine, vous sourirez à Guitaut, il n'est rien, sinon brave et respecté. Approchez-vous de tout ce qui est respecté, la liste n'est pas si longue, mais ce Guitaut est craint même des princes du sang, même de Monsieur. N'essayez pas de l'acheter, de le séduire, et Dieu sait si cela vous savez le faire, bougre d'Italien ! Vous n'êtes plus à la Curie. Guitaut est la résistance même, une place forte. Faites-en un allié par votre dévouement au Trône. Servez-vous de sa seule faiblesse : la tendre joliesse m˚re de la pieuse marquise de Sénecey.
Il songea. Puis reprit :
- Vous la tirerez, vous, de l'exil o˘ je l'ai enfouie. Guitaut vous en saura gré. Obtenir l'agrément de Guitaut est gagner la confiance de la Reine. Rapprochez-vous de la Reine. La Reine, Signor Colmardo, a changé. Remarquez les regards qu'elle pose sur son Dauphin, notre Dauphin. Cette infante insolente, arrogante, à juste titre par sa plus haute des plus hautes naissances, est en passe de devenir une vraie reine de France. Je fus son ennemi quand elle était le mien, je reste son admirateur. Elle a le sang de Charles quint, la fidélité à son père le grand roi Philippe IL
est respectable, et elle donne son amour, un grand et véritable amour, à l'avenir de la France, ce Petit Louis qu'il vous faudra protéger, éduquer en Roi, gronder parfois, toujours servir.
Le Duc Rouge reprit souffle, leva les yeux vers son plafond étoilé, il y avait fait peindre un ciel, le mois précédent, en prévision d'un voyage... Autant consulter les cartes avant d'entreprendre une ultime expédition.
- Dans ces lettres de Chavigny et de la Brassac que vous avez déposées ici, est-il un mot qui me contredise ?
- Non, Monseigneur, il y est dit que la Reine s'occupe depuis des mois exclusivement du Dauphin et du duc d'Anjou. qu'elle chante parfois en espagnol mais que ce sont des berceuses.
- Il est bon qu'un Roi parle les langues de ses voisins. que Louis le Prochain parle l'espagnol ! Vous lui enseignerez l'italien, il l'apprendra vite, le sang Médicis lui coule dans les veines. (Un temps, une grimace.) Mazarini, je n'ai confiance qu'en vous.
L'Italien salua de la tête mais n'insista pas et changea le cours des pensées de l'Eminence.
- Mme de Brassac dit aussi que la Reine a refusé un courrier de la duchesse de Chevreuse, faisant jeter la lettre au feu de l'‚tre avec ce mot : " Je ne veux plus de nouvelles de cette femme qui m'assiège de ses demandes. "
- La Reine sera une grande régente.
L'aveu fit souffrir le vieil homme rouge qui grimaça. Mazarini se leva de nouveau et de nouveau un geste le rassit.
- Je ne suis pas encore mort. Mais presque. Le Roi est encore chasseur mais... cela non plus ne durera pas. Une dernière campagne se prépare, une dernière annexion. Le Roussillon.
Mazarini hocha la tête.
- Monseigneur, la France sera étendue jusqu'au piémont des
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