Le Lis et le Lion
repos gagné que lorsque j’aurai défait en
bataille le maréchal de Philippe le faux roi de France.
Gagnée par l’enthousiasme, la table
l’applaudit.
— Moi aussi, je veux faire vœu,
s’écria en battant des mains la demoiselle de Derby. Pourquoi les dames
n’auraient-elles pas droit de vouer ?
— Mais elles le peuvent, gente
comtesse, lui répondit Robert, et à grand avantage ; les hommes n’en
tiendront que mieux leur foi. Allez, pucelettes, ajouta-t-il pour les deux
fillettes couronnées, remettez-vous à chanter en l’honneur de la dame qui veut
vouer.
Ménestrels et pucelettes
reprirent : « Je vais à la verdure car l’amour me
l’apprend. » Puis devant le plat d’argent où le héron se figeait dans
sa sauce, la demoiselle de Derby dit, d’une voix aigrelette :
— Je voue et promets à Dieu de
Paradis que je n’aurai mari, qu’il soit prince, comte ou baron, avant que le
vœu que vient de faire le noble Lord de Salisbury soit accompli. Et quand il
reviendra, s’il en échappe vif, le mien corps lui octroie, et de bon cœur.
Ce vœu causa quelque surprise, et
Salisbury rougit.
Les belles nattes noires de la
comtesse de Salisbury n’eurent pas un mouvement ; ses lèvres simplement se
pincèrent d’une légère ironie et ses yeux aux ombres mauves cherchèrent à
accrocher le regard du roi Édouard, comme pour lui faire comprendre :
« Nous n’avons point trop à nous gêner. »
Robert s’arrêta ainsi devant chaque
convive, faisant donner quelques tours de vielle et chanter les fillettes pour
laisser à chacun le temps de préparer son vœu et choisir son ennemi. Le comte
de Derby, père de la demoiselle qui avait fait une déclaration si osée, promit
de défier le comte de Flandre ; le nouveau comte de Suffolk désigna le roi
de Bohême. Le jeune Gautier de Mauny, tout bouillant d’avoir été récemment armé
chevalier, impressionna vivement l’assemblée en promettant de réduire en
cendres toutes les villes, autour du Hainaut, qui appartenaient à Philippe de
Valois, dût-il, jusqu’à ce faire, ne plus voir la lumière que d’un œil.
— Eh bien ! qu’il en soit
ainsi, dit la comtesse de Salisbury, sa voisine, en lui posant deux doigts sur
l’œil droit. Et quand votre promesse sera accomplie, alors mon amour soit à qui
plus m’aime ; c’est là mon vœu.
En même temps elle regardait le roi.
Mais le naïf Gautier, qui croyait cette promesse à lui destinée, garda la
paupière fermée après que la dame en eut ôté les doigts. Puis, sortant son
mouchoir qui était rouge, il se le noua en travers du front pour tenir l’œil
couvert.
Le moment de pure grandeur était
passé. Quelques rires se mêlaient déjà à cette compétition de bravoure orale.
Le héron était arrivé devant messire Jean de Hainaut, lequel avait bien espéré
que la provocation tournerait autrement pour son auteur. Il n’aimait pas à
recevoir des leçons d’honneur, et son visage poupin cachait mal son dépit.
— Lorsque nous sommes en
taverne, et force vin buvant, dit-il à Robert, les vœux nous coûtent peu pour
nous faire regarder des dames. Nous n’avons alors parmi nous que des Olivier,
des Roland et des Lancelot. Mais quand nous sommes en campagne sur nos
destriers courants, nos écus au col, nos lances abaissées, et qu’une grande froidure
nous glace à l’approche de l’ennemi, alors combien de fanfarons aimeraient
mieux être dans les caves ! Le roi de Bohême, le comte de Flandre et
Bertrand le maréchal sont aussi bons chevaliers que nous, cousin Robert, vous
le savez bien ; car bannis que nous soyons l’un et l’autre de la cour de
France, mais pour raisons diverses, nous les avons assez connus ; leurs
rançons ne nous sont pas encore acquises ! Pour ma part je fais vœu
simplement que si notre roi Édouard veut passer par le Hainaut, je serai auprès
de lui pour toujours soutenir sa cause. Et ce sera la troisième guerre où je le
servirai.
Robert venait maintenant vers la
reine Philippa. Il mit un genou en terre. La ronde Philippa tourna vers Édouard
son visage taché de son.
— Je ne puis faire vœu,
dit-elle, sans l’autorisation de mon seigneur.
Elle donnait par là une calme leçon
aux dames de sa cour.
— Vouez tout ce qu’il vous
plaira, ma mie, vouez ardemment ; je ratifie d’avance, et que Dieu vous
aide ! dit le roi.
— Si donc, mon doux Sire, je
puis vouer ce qui me plaît, reprit Philippa, puisque je suis
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