Le Lis et le Lion
morts.
Le jeune roi Édouard avait été
blessé à la cuisse et le sang ruisselait sur sa botte de cuir blanc ; mais
les combats désormais se passeraient sur la terre de France.
Édouard III envoya aussitôt à
Philippe VI de nouvelles lettres de défi. « Pour éviter de graves
destructions aux peuples et aux pays, et une grande mortalité de chrétiens, ce
que tout prince doit avoir à cœur d’empêcher », le roi anglais offrait à
son cousin de France de le rencontrer en combat singulier, puisque la querelle
concernant l’héritage de France leur était affaire personnelle. Et si Philippe
de Valois ne voulait point de ce « challenge entre leurs corps », il lui
offrait de l’affronter avec seulement cent chevaliers de part et d’autre, en
champ clos : un tournoi en somme, mais à lances non épointées, à glaives
non rabattus, où il n’y aurait pas de juges diseurs pour surveiller la mêlée et
dont le prix ne serait point une broche de parure ou un faucon muscadin, mais
la couronne de Saint Louis.
Or le roi tournoyeur répondit que la
proposition de son cousin était irrecevable, vu qu’elle avait été adressée à
Philippe de Valois et non pas au roi de France dont Édouard était le vassal
traîtreusement révolté.
Le pape fit négocier une nouvelle
trêve. Les légats se dépensèrent fort et s’attribuèrent tout le mérite d’une
paix précaire que les deux princes n’acceptaient que pour se donner le temps de
souffler.
Cette seconde trêve avait quelques
chances de durer, lorsque mourut le duc de Bretagne.
Il ne laissait pas de fils légitime
ni d’héritier direct. Le duché fut réclamé à la fois par le comte de
Montfort-l’Amaury, son dernier frère, et par Charles de Blois, son neveu :
une autre affaire d’Artois, et qui, juridiquement, se présentait à peu près de
la même manière. Philippe VI appuya les prétentions de son parent Charles
de Blois, un Valois par alliance. Aussitôt Édouard III prit parti pour
Jean de Montfort. Si bien qu’il y eut deux rois de France, ayant chacun son duc
de Bretagne, comme chacun avait déjà son roi d’Écosse.
La Bretagne touchait à Robert de
fort près, puisqu’il était, par sa mère, du sang de ses ducs. Édouard III
ne pouvait ni moins ni mieux faire que de remettre au géant le commandement du
corps de bataille qui allait y débarquer.
La grande heure de Robert d’Artois
était venue.
Robert a cinquante-six ans. Autour
de son visage, aux muscles durcis par une longue destinée de haine, les cheveux
ont pris cette bizarre couleur de cidre allongé d’eau qui vient aux hommes roux
lorsqu’ils blanchissent. Il n’est plus le mauvais sujet qui s’imaginait faire
la guerre quand il pillait les châteaux de sa tante Mahaut. À présent, il sait
ce qu’est la guerre ; il prépare soigneusement sa campagne ; il a
l’autorité que confèrent l’âge et toutes les expériences accumulées au long
d’une tumultueuse existence. Il est unanimement respecté. Qui donc se rappelle
qu’il fut faussaire, parjure, assassin et un peu sorcier ? Qui oserait le
lui rappeler ? Il est Monseigneur Robert, ce colosse vieillissant, mais
d’une force toujours surprenante, toujours vêtu de rouge, et toujours sûr de
soi, qui s’avance en terre française à la tête d’une armée anglaise. Mais cela
compte-t-il pour lui que ses troupes soient étrangères ? Et d’ailleurs
cette notion existe-t-elle pour aucun des comtes, barons, et chevaliers ?
Leurs expéditions sont des affaires de famille et leurs combats des luttes
d’héritages ; l’ennemi est un cousin, mais l’allié est un autre cousin.
C’est pour le peuple, dont les maisons vont être brûlées, les granges pillées,
les femmes malmenées, que le mot « étranger » signifie
« ennemi » ; pas pour les princes qui défendent leurs titres et
assurent leurs possessions.
Pour Robert, cette guerre entre
France et Angleterre c’est sa guerre ; il l’a voulue,
prêchée, fabriquée ; elle représente dix ans d’efforts incessants. Il
semble qu’il ne soit né, qu’il n’ait vécu que pour elle. Il se plaignait
naguère de n’avoir jamais pu goûter le moment présent ; cette fois il le
savoure enfin. Il aspire l’air comme une liqueur délectable. Chaque minute est
un bonheur. Du haut de son énorme alezan, la tête au vent et le heaume pendu à
la selle, il adresse à son monde de grandes joyeusetés qui font trembler. Il a
vingt-deux mille
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