Le Lis et le Lion
de l’Italie, pour quelle raison Cola de Rienzi voulait-il
s’entretenir, et d’urgence, et secrètement, avec Giannino Baglioni ?
Celui-ci ne cessait de se poser la question, les jours suivants, tandis qu’il
cheminait vers Rome, en compagnie de son ami le notaire Angelo Guidarelli
auquel il avait demandé de l’accompagner, d’abord parce qu’une route faite à
deux semble moins longue, et aussi parce que le notaire était un garçon avisé
qui connaissait bien toutes les affaires de banque.
En septembre le ciel est encore
chaud sur la campagne siennoise, et le chaume des moissons couvre les champs
comme d’une fourrure fauve. C’est l’un des plus beaux paysages du monde ;
Dieu y a tracé avec aisance la courbe des collines, et répandu une végétation
riche, diverse, où le cyprès règne en seigneur. L’homme a su travailler cette
terre et partout y semer ses logis, qui, de la plus princière villa à la plus
humble métairie, possèdent tous, avec leur couleur ocre et leurs tuiles rondes,
la même grâce et la même harmonie. La route n’est jamais monotone, serpente,
s’élève, descend vers de nouvelles vallées, entre des cultures en terrasses et
des oliveraies millénaires. À Sienne, Dieu et l’homme ont eu également du
génie.
Quelles étaient ces affaires de
France dont le tribun de Rome désirait parler, en secret, au banquier de
Sienne ? Pourquoi l’avait-il fait approcher à deux reprises, et lui
avait-il envoyé cette lettre pressante où il le traitait de « très cher
ami » ? De nouveaux prêts à consentir au roi de Paris, sans doute, ou
des rançons à acquitter pour quelques grands seigneurs prisonniers en
Angleterre ? Giannino Baglioni ignorait que Cola de Rienzi s’intéressât
tellement au sort des Français.
Et si même il en était ainsi, pourquoi
le tribun ne s’adressait-il pas aux autres membres de la compagnie, aux plus
anciens, à Tolomeo Tolomei, à Andréa, à Giaccomo, qui connaissaient bien mieux
ces questions, et étaient allés à Paris autrefois liquider l’héritage du vieil
oncle Spinello, quand on avait dû fermer les comptoirs de France ? Certes
Giannino était né d’une mère française, une belle jeune dame un peu triste,
qu’il revoyait au centre de ses souvenirs d’enfance, dans un manoir vétuste en
un pays pluvieux. Et certes, son père, Guccio Baglioni, mort depuis quatorze
ans déjà, le cher homme, au cours d’un voyage en Campanie… et Giannino, balancé
par le pas de son cheval, dessinait un signe de croix discret sur sa poitrine…
son père, du temps qu’il séjournait en France, s’était trouvé fort mêlé à de
grandes affaires de cour, entre Paris, Londres, Naples et Avignon. Il avait
approché les rois et les reines, et même assisté au fameux conclave de Lyon…
Mais Giannino n’aimait pas se
souvenir de la France, précisément à cause de sa mère jamais revue, et dont il
ignorait si elle était encore vivante ou trépassée ; à cause de sa
naissance, légitime selon son père, illégitime aux yeux des autres membres de
la famille, de tous ces parents brusquement découverts lorsqu’il avait neuf ans :
le grand-père Mino Baglioni, les oncles Tolomei, les innombrables cousins…
Longtemps Giannino s’était senti étranger, parmi eux. Il avait tout fait pour
effacer cette dissemblance, pour s’intégrer à la communauté, pour devenir un
Siennois, un banquier, un Baglioni.
S’étant spécialisé dans le négoce
des laines, peut-être parce qu’il gardait quelque nostalgie des moutons, des
prés verts et des matins de brume, il avait épousé, deux ans après le décès de
son père, une héritière de bonne famille siennoise, Giovanna Vivoli, dont lui
étaient nés trois fils et avec laquelle il avait vécu fort heureux pendant six
ans, avant qu’elle ne mourût pendant l’épidémie de peste noire, en 48. Remarié
l’année suivante à une autre héritière, Francesca Agazzano, deux fils encore réjouissaient
son foyer, et il attendait présentement une nouvelle naissance.
Il était estimé de ses compatriotes,
conduisait ses affaires avec honnêteté, et devait à la considération publique
la charge de camerlingue de l’hôpital Notre-Dame-de-la-Miséricorde…
San Quirico d’Orcia, Radicofani,
Acquapendente, le lac de Bolsena, Montefiascone ; les nuits passées aux
hôtelleries à gros portiques, et la route reprise au matin… Giannino et
Guidarelli étaient sortis de la Toscane. À mesure
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