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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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qu’il avançait, Giannino se sentait
davantage décidé à répondre au tribun Cola, avec toute la courtoisie possible,
qu’il ne voulait point se mêler de transactions en France. Le notaire
Guidarelli l’approuvait pleinement ; les compagnies italiennes gardaient
trop mauvais souvenir des spoliations, et trop se détériorait le royaume de
France, depuis le début de la guerre d’Angleterre, pour qu’on pût y prendre le
moindre risque d’argent. Mieux valait vivre en une bonne petite république
comme Sienne, aux arts et au commerce prospères, qu’en ces grandes nations
gouvernées par des fous [31]  !
    Car Giannino, du palais Tolomei,
avait bien suivi les affaires françaises durant les dernières années ; on
gardait là-bas quantité de créances qu’on ne verrait sans doute jamais
honorées ! Des déments, en vérité, ces Français, à commencer par leur roi
Valois qui avait réussi à perdre d’abord la Bretagne et la Flandre, ensuite la
Normandie, ensuite la Saintonge, et puis s’était fait buissonner comme
chevreuil par les armées anglaises, autour de Paris. Ce héros de tournoi, qui
voulait emmener l’univers en croisade, refusait le cartel de défi par lequel
son ennemi lui offrait combat dans la plaine de Vaugirard, presque aux portes
de son Palais ; puis, s’imaginant les Anglais en fuite parce qu’ils se
retiraient vers le nord… pour quelle raison auraient-ils fui, alors qu’ils
étaient partout victorieux ?… Philippe, soudainement, épuisant ses troupes
par des marches forcées, se lançait à la poursuite d’Édouard, l’atteignait
au-delà de la Somme ; et là se terminait sa gloire.
    Les échos de Crécy s’étaient
répandus jusqu’à Sienne. On savait comment le roi de France avait obligé ses
gens de marche à attaquer, sans prendre souffle, après une étape de cinq
lieues, et comment la chevalerie française, irritée contre cette piétaille qui
n’avançait pas assez vite, avait chargé à travers sa propre infanterie, la
bousculant, la renversant, la foulant aux fers des chevaux, pour aller se faire
mettre en pièces sous les tirs croisés des archers anglais.
    — Ils ont dit, pour expliquer leur
défaite, que c’étaient les traits à poudre, fournis aux Anglais par l’Italie,
qui avaient semé le désordre et l’effroi dans leurs rangs, à cause du fracas.
Mais non, Guidarelli, ce ne sont pas les traits à poudre ; c’est leur
stupidité.
    Ah ! On ne pouvait nier qu’il
se fût accompli là de beaux faits d’armes. Par exemple, on avait vu Jean de
Bohême, devenu aveugle vers la cinquantaine, exiger de se faire conduire quand
même au combat, son destrier lié à droite et à gauche aux montures de deux de
ses chevaliers ; et le roi aveugle s’était enfoncé dans la mêlée,
brandissant sa masse d’armes pour l’abattre sur qui ? Sur la tête des deux
malheureux qui l’encadraient. On l’avait retrouvé mort, toujours lié à ses deux
compagnons assommés, parfait symbole de cette caste chevaleresque, enfermée
dans la nuit de ses heaumes, qui, méprisant le peuple, se détruisait elle-même
comme à plaisir.
    Au soir de Crécy, Philippe VI
errait dans la campagne, n’ayant plus que six hommes avec lui, et allait
frapper à la porte d’un petit manoir en gémissant :
    — Ouvrez, ouvrez à l’infortuné
roi de France ! Messer Dante, on ne devait pas l’oublier, avait maudit
autrefois la race des Valois, à cause du premier d’entre eux, le comte Charles,
le ravageur de Sienne et de Florence. Tous les ennemis du divino poeta finissaient assez mal.
    Et après Crécy, la peste amenée par
les Génois. De ceux-là non plus il ne fallait jamais attendre rien de
bon ! Leurs bateaux avaient rapporté d’Orient le mal affreux qui, gagnant
d’abord la Provence, s’était abattu sur Avignon, sur cette ville toute pourrie
de débauches et de vices. Il suffisait d’avoir entendu répéter les propos de
messer Pétrarque sur cette nouvelle Babylone pour comprendre que sa puante
infamie et les péchés qui s’y étalaient la désignaient aux calamités
vengeresses [32] .
    Le Toscan n’est jamais content de
rien ni de personne, sauf de lui-même. S’il ne pouvait médire, il ne pourrait
vivre. Et Giannino, en cela, se montrait bien toscan. À Viterbo, Guidarelli et
lui n’en avaient pas encore fini de critiquer et de blâmer tout l’univers.
    D’abord que faisait le pape en
Avignon, au lieu de siéger à Rome, en la place désignée

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