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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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par saint Pierre ?
Et pourquoi élisait-on toujours des papes français, comme ce Pierre Roger,
l’ancien évêque d’Arras, qui avait succédé à Benoît XII et régnait
présentement sous le nom de Clément VI ? Pourquoi ne nommait-il à son
tour que des cardinaux français et refusait-il de rentrer en Italie ? Dieu
les avait tous punis. Une seule saison voyait la fermeture de sept mille maisons
d’Avignon dépeuplée par la peste ; on ramassait les cadavres par
charretées. Puis le fléau montait vers le nord, à travers un pays épuisé par la
guerre. La peste arrivait à Paris où elle causait mille morts par
journée ; grands ou petits, elle n’épargnait personne. La femme du duc de
Normandie, fille du roi de Bohême, était morte de la peste. La reine Jeanne de
Navarre, la fille de Marguerite de Bourgogne, était morte de la peste. La mâle
reine de France elle-même, Jeanne la Boiteuse, sœur de Marguerite, avait péri
de la peste ; les Français, qui la détestaient, disaient que son trépas
n’était qu’un juste châtiment.
    Mais pourquoi Giovanna Baglioni, la
première épouse de Giannino, Giovanna aux beaux yeux en amande, au cou pareil à
un fût d’albâtre, avait-elle aussi été emportée ? Était-ce là
justice ? Était-il juste que l’épidémie eût dévasté Sienne ? Dieu
manifestait vraiment peu de discernement et taxait trop souvent les bons pour
payer les fautes des méchants.
    Bienheureux ceux qui avaient échappé
à la peste ! Bienheureux messer Giovanni Boccacio, le fils d’un ami des
Tolomei, de mère française, comme Giannino, et qui avait pu demeurer à l’abri,
hôte d’un riche seigneur, dans une belle villa en lisière de Florence !
Tout le temps de la contagion, afin de distraire les réfugiés de la villa
Palmieri, et leur faire oublier que la mort rôdait aux portes, Boccacio avait
écrit ses beaux et plaisants contes que maintenant l’Italie entière répétait.
Le courage montré devant le trépas par les hôtes du comte Palmieri et par
messer Boccacio ne valait-il pas toute la sotte bravoure des chevaliers de
France ? Le notaire Guidarelli partageait complètement cet avis.
    Or le roi Philippe s’était remarié
trente jours seulement après la mort de la mâle reine. Là encore, Giannino
trouvait motif à blâmer, non exactement dans le remariage puisque lui-même en
avait fait autant, mais dans l’indécente hâte mise par le roi de France à ses
secondes noces. Trente jours ! Et qui Philippe VI avait-il
choisi ? C’était là que l’histoire commençait d’être savoureuse ! Il
avait enlevé à son fils aîné la princesse à laquelle celui-ci devait se
remarier, sa cousine Blanche, fille du roi de Navarre, qu’on surnommait Belle
Sagesse.
    Ébloui par l’apparition à la cour de
cette pucelle de dix-huit ans, Philippe avait exigé de son fils, Jean de
Normandie, qu’il la lui cédât, et Jean s’était laissé unir à la comtesse de
Boulogne, une veuve de vingt-quatre ans, pour laquelle il n’éprouvait pas grand
goût, non plus à vrai dire que pour aucune dame, car il semblait que l’héritier
de France fût plutôt tourné vers les écuyers.
    Le roi de cinquante-six ans avait
alors retrouvé, entre les bras de Belle Sagesse, la fougue de sa jeunesse.
Belle Sagesse, vraiment ! le nom convenait bien ; Giannino et
Guidarelli en étaient secoués de rire sur leurs chevaux. Belle Sagesse !
Messer Boccacio en eût pu faire un de ses contes. En trois mois, la donzelle
avait eu les os du roi tournoyeur, et l’on conduisait à Saint-Denis ce superbe
imbécile qui n’avait régné un tiers de siècle que pour conduire son royaume de
la richesse à la ruine.
    Jean II, le nouveau roi, âgé
maintenant de trente-six ans, et qu’on appelait le Bon sans qu’on sût trop
pourquoi, possédait tout juste, à ce que les voyageurs rapportaient, les mêmes
solides qualités que son père, et le même bonheur dans ses entreprises. Il
était seulement un peu plus dépensier, instable, et futile ; mais il
rappelait aussi sa mère par la sournoiserie et la cruauté. Se croyant
constamment trahi, il avait déjà fait décapiter son connétable.
    Parce que le roi Édouard III,
campant dans Calais par lui conquis, avait institué l’ordre de la Jarretière,
un jour qu’il s’était plu à rattacher lui-même le bas de sa maîtresse la belle
comtesse de Salisbury, le roi Jean II, ne voulant pas demeurer en reste de
chevalerie, avait fondé

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