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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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l’ordre de l’Étoile afin d’en honorer son favori
espagnol, le jeune Charles de La Cerda. Ses prouesses s’arrêtaient là.
    Le peuple crevait de faim ; les
campagnes comme l’industrie, par suite de la peste et de la guerre, manquaient
de bras ; les denrées étaient rares et les prix démesurés ; on
supprimait des emplois ; on imposait sur toutes les transactions une taxe
de près d’un sol à la livre.
    Des bandes errantes, semblables aux
pastoureaux de jadis, mais plus démentes encore, traversaient le pays, des
milliers d’hommes et de femmes en haillons qui se flagellaient les uns les
autres avec des cordes ou des chaînes, en hurlant des psaumes lugubres le long
des routes, et soudain, saisis de fureur, massacraient, comme toujours, les
Juifs et les Italiens.
    Cependant la cour de France
continuait d’étaler un luxe insultant, dépensait pour un seul tournoi ce qui
eût suffi à nourrir un an tous les pauvres d’un comté, et se vêtait de façon
peu chrétienne, les hommes plus parés de bijoux que les femmes, avec des cottes
pincées à la taille, si courtes qu’elles découvraient les fesses, et des
chaussures terminées en si longues pointes qu’elles empêchaient de marcher.
    Une compagnie de banque un peu
sérieuse pouvait-elle à de telles gens consentir de nouveaux prêts ou fournir
des laines ? Certes non. Et Giannino Baglioni, entrant à Rome, le 2
octobre, par le Ponte Milvio, était bien résolu à le dire au tribun Cola de
Rienzi.
     

II

LA NUIT DU CAPITOLE
    Les voyageurs s’étaient installés dans
une osteria du Campo dei Fiori, à l’heure où les marchandes criardes
soldaient leurs bottes de roses et débarrassaient la place du tapis multicolore
et embaumé de leurs éventaires.
    À la nuit tombante, ayant pris
l’aubergiste pour guide, Giannino Baglioni se rendit au Capitole.
    L’admirable ville que Rome, où il
n’était jamais venu et qu’il découvrait en regrettant de ne pouvoir à chaque
pas s’arrêter ! Immense en comparaison de Sienne et de Florence, plus
grande même, semblait-il, que Paris, ou que Naples, si Giannino se référait aux
récits de son père. Le dédale de ruelles s’ouvrait sur des palais merveilleux,
brusquement surgis, et dont les porches et les cours étaient éclairés de
torches ou de lanternes. Des groupes de garçons chantaient, se tenant par le
bras en travers des rues. On se bousculait, mais sans mauvaise humeur, on
souriait aux étrangers ; les tavernes étaient nombreuses d’où sortaient de
bons parfums d’huile chaude, de safran, de poisson frit et de viande rôtie. La
vie ne semblait pas s’arrêter avec la nuit.
    Giannino monta la colline du
Capitole à la lueur des étoiles. L’herbe croissait devant un porche
d’église ; des colonnes renversées, une statue dressant un bras mutilé
attestaient l’antiquité de la cité. Auguste, Néron, Titus, Marc Aurèle avaient
foulé ce sol.
    Cola de Rienzi soupait en nombreuse
compagnie, dans une vaste salle sur les assises mêmes du temple de Jupiter.
Giannino vint à lui, mit un genou en terre et se nomma. Aussitôt le tribun, lui
prenant les mains, le releva et le fit conduire dans une pièce voisine où,
après peu d’instants, il le rejoignit.
    Rienzi s’était choisi le titre de
tribun, mais il avait plutôt le masque et le port d’un empereur. La pourpre
était sa couleur ; il drapait son manteau comme une toge. Le col de sa robe
cernait un cou large et rond ; le visage massif avec de gros yeux clairs,
des cheveux courts, un menton volontaire, semblait destiné à prendre place à la
suite des bustes des Césars. Le tribun avait un tic léger, un frémissement de
la narine droite qui lui donnait une expression d’impatience. Le pas était
autoritaire. Cet homme-là montrait bien, rien qu’en paraissant, qu’il était né
pour commander, avait de grandes vues pour son peuple, et qu’il fallait se
hâter de comprendre ses pensées et de s’y conformer. Il fit asseoir Giannino
près de lui, ordonna à ses serviteurs de fermer les portes et de veiller à ce
qu’on ne le dérangeât point ; puis, tout aussitôt, il commença de poser
des questions qui ne concernaient en rien les affaires de banque.
    Le commerce des laines, les prêts
d’argent, les lettres de change ne constituaient pas son souci. C’était
Giannino uniquement, la personne de Giannino, qui l’intéressait. À quel âge
Giannino était-il arrivé de France ? Où avait-il passé ses

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