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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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d’Hirson, de son
vivant, possédait à Paris, dans la rue Mauconseil, un hôtel jouxte celui de la
comtesse d’Artois, et qu’il avait agrandi en achetant la maison d’un de ses
voisins nommé Julien Bonnefïlle. Ce fut cette maison, reçue en héritage, que
Béatrice proposa à Robert d’Artois comme abri de leurs rencontres.
    La promesse de s’ébattre en
compagnie de la dame de parage de Mahaut, à côté de l’hôtel de Mahaut, dans une
maison payée sur les deniers de Mahaut, et qui, de surcroît, gardait le nom de
maison Bonnefïlle, il y avait en tout cela de quoi satisfaire le penchant
naturel de Robert pour la farce. Le sort organise parfois de ces amusements…
    Néanmoins, Robert, dans les débuts,
n’en usa qu’avec une extrême prudence. Bien qu’il fût lui-même propriétaire,
dans la même rue, d’un hôtel où il ne résidait pas mais qu’il venait visiter de
temps à autre, il préférait ne se rendre à la maison Bonnefïlle que le soir
tombé. En ces quartiers proches de la Seine, où les voies étroites étaient
encombrées d’une foule dense et lente, un seigneur tel que Robert d’Artois, de
stature si reconnaissable et escorté d’écuyers, ne pouvait passer inaperçu.
Robert attendait donc la chute du jour. Il se faisait toujours accompagner de
Gillet de Nelle et de trois serviteurs, choisis parmi les plus discrets et
surtout les plus forts. Gillet était la cervelle de cette garde et les trois
valets à poings d’assommeurs se plaçaient aux issues de la maison Bonnefïlle,
sans livrée, comme de quelconques badauds.
    Au cours des premières entrevues,
Robert refusa de boire le vin aux épices que Béatrice lui offrait. « La
donzelle peut bien avoir été chargée de m’enherber », se disait-il. Il ne
se dévêtait qu’à regret de son surcot doublé d’une fine maille de fer, et, tout
le temps du plaisir, gardait l’œil vers le coffre où il avait posé sa dague.
    Béatrice se délectait de lui voir
pareilles craintes. Ainsi, elle, petite bourgeoise d’Artois, fille non mariée à
trente ans passés, et qui avait roulé dans toutes sortes de draps, pouvait
inspirer crainte à un tel colosse et un si puissant pair de France ?
    L’aventure avait pour Béatrice, plus
encore que pour Robert, tout le piment de la perversité. Dans la maison de son
oncle l’évêque ! Et avec le mortel ennemi de Madame Mahaut à laquelle,
pour excuser ses absences, Béatrice devait conter sans cesse de nouvelles
fables… La Divion était réticente… Elle ne céderait pas d’un coup et ce serait
folie que de lui verser forte somme pour laquelle elle pourrait ne vendre qu’un
gros mensonge… Non, il fallait la voir souvent, lui extirper, bribe après
bribe, les intrigues du mauvais Monseigneur Robert, lui faire livrer le nom des
témoins de complaisance, et ensuite vérifier ses dires, aller trouver le sieur
Juvigny, au Louvre, ou Michelet Guéroult, le valet du notaire Tesson. Ah !
tout cela n’allait pas sans peine, ni temps, ni monnaie… « Il
conviendrait, Madame, de donner une pièce d’étoffe à ce clerc, pour sa
femme ; sa langue se déliera… M’autorisez-vous à vous prendre quelques
livres ? »
    Et le plaisir de regarder Madame
Mahaut dans les yeux, de lui sourire, et de penser : « Il y a moins
de douze heures, je m’offrais toute dépouillée à messire votre
neveu ! »
    À voir sa demoiselle de parage tant
se dépenser à son service, Mahaut la rabrouait moins, lui montrait de nouveau
de l’affection et ne lui ménageait pas les gâteries. Pour Béatrice c’était une
occasion doublement exquise que de jouer Mahaut tout en s’appliquant à
conquérir Robert. Car on ne saurait prétendre avoir conquis un homme parce
qu’on a passé une heure avec lui au même lit, pas plus qu’on n’est le maître
d’un fauve parce qu’on l’a acheté et qu’on l’observe à travers les grilles de
la cage.
    La possession ne fait pas le
pouvoir.
    On n’est le maître, vraiment, que
lorsqu’on a si bien travaillé le fauve qu’il se couche à la voix, rentre les
griffes, et qu’un regard lui sert de barreaux.
    Les défiances de Robert étaient pour
Béatrice comme autant de griffes à limer. En toute sa carrière de chasseresse
elle n’avait jamais eu l’occasion de piéger si grand gibier, et réputé si
féroce que c’en était proverbe.
    Le jour où Robert consentit à
accepter de la main de Béatrice un gobelet de grenache, elle connut sa

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