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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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Valois et moi-même nous étions opposés à leur destruction.
    — Ils sont restés puissants par
magie ; tous les maux survenus depuis lors au royaume sont arrivés à cause
du pacte que les Templiers ont fait avec Satan, parce que le pape les avait
condamnés.
    — Les malheurs du royaume, les
malheurs du royaume… disaient Robert peu convaincu. Certains ne sont-ils pas
l’œuvre de ma tante plutôt que celle du Diable ? Car c’est elle qui a
expédié mon cousin Hutin, et son fils ensuite. N’y aurais-tu pas mis un peu la
main ?
    Il revenait souvent sur cette
question mais, chaque fois, Béatrice esquivait. Ou bien elle souriait, vaguement,
comme si elle n’avait pas entendu ; ou bien elle répondait à côté.
    — Mahaut ne sait pas… elle ne
sait pas que j’ai fait pacte avec le Diable… Sûrement elle me chasserait…
    Et elle repartait aussitôt d’un
débit rapide sur ses sujets favoris, sur la messe vaine, l’opposé, la négation
de la messe chrétienne, qu’on devait célébrer à minuit, dans un souterrain, et
près d’un cimetière de préférence. L’idole avait une tête à deux visages ;
on se servait d’hosties noires que l’on consacrait en prononçant trois fois le
nom de Belzébuth. Si l’officiant pouvait être un prêtre renégat, ou un moine
défroqué, cela n’en valait que mieux.
    — Le Dieu d’en haut est
failli ; il a promis la félicité et ne donne que malheur aux créatures qui
le servent ; il faut obéir au Dieu d’en bas. Tiens, Monseigneur, si tu
veux que les pièces de ton procès soient renforcées par le Diable, fais-les
traverser d’un fer rouge dans le coin de la feuille, et qu’il y demeure un trou
marqué d’un peu de brûlure. Ou bien encore, souille la page d’une petite tache
d’encre étalée en forme de croix où la branche du haut finisse comme une main…
Je sais comment il faut faire.
    Mais Robert, lui non plus, ne se
livrait pas tout à fait ; et bien que Béatrice dût être la première à
savoir que les pièces qu’il se targuait de posséder étaient des faux, jamais il
ne se serait laissé aller à en convenir.
    — Si tu veux prendre tout
pouvoir sur un ennemi et qu’il agisse à sa perte par volonté maligne, lui
confia-t-elle un jour, il faut que tu le fasses frotter aux aisselles, au
revers des oreilles et à la plante des pieds d’un onguent fait de fragments
d’hosties et de poudre d’os d’un petit enfant sans baptême, cela mêlé à du rut
d’homme répandu sur le dos d’une femme pendant la messe vaine, et du sang
mensuel de cette femme… [14]
    — Je serais plus sûr, répondit
Robert, si, à une bonne ennemie que j’ai, on versait la poudre à faire mourir
les rats et les bêtes puantes.
    Béatrice feignit de ne pas réagir.
Mais l’idée lui fit passer des ondes chaudes sous la peau. Non, il ne fallait
pas qu’elle répondît tout de suite à Robert. Il ne fallait pas qu’il sût
qu’elle était déjà consentante… Est-il meilleur pacte qu’un crime pour lier à
jamais deux amants ?
    Car elle l’aimait. Elle ne se
rendait pas compte que, cherchant à le piéger, c’était elle qui entrait en
dépendance. Elle ne vivait plus que pour le moment où elle le rejoignait, pour
ne vivre ensuite que de se souvenir et à nouveau d’attendre. Attendre ce poids
de deux cents livres, et cette odeur de ménagerie que Robert dégageait, surtout
dans l’ébat amoureux, et ce grondement de félin qu’elle lui tirait de la gorge.
    Il existe plus de femmes qu’on ne
pense qui ont le goût du monstre. Les nains de la cour, Jean le Fol et les
autres, le savaient bien qui ne pouvaient suffire à leurs conquêtes ! Même
une anomalie accidentelle est objet de curiosité et, partant, de désir. Un
chevalier borgne par exemple, rien que pour l’envie de soulever le carreau
d’étoffe noire qui lui couvre une partie du visage. Robert, à sa manière, tenait
du monstre.
    La pluie d’automne s’égouttait sur
les toits. Les doigts de Béatrice s’amusaient à suivre les renflements d’une
panse gigantesque.
    — D’abord toi, Monseigneur,
disait-elle, tu n’as besoin de rien pour obtenir ce que tu veux, ni besoin
d’être instruit d’aucune science… Tu es le Diable lui-même. Le Diable ne sait
pas qu’il est le Diable…
    Il rêvassait, repu, le menton en
l’air, écoutant cela…
    Le Diable a des yeux qui brûlent
comme la braise, d’immenses griffes au bout des doigts pour lacérer les

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