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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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maison de ma tante. Et ainsi je pourrais t’avoir
toujours auprès de moi…
    L’hameçon était gros, mais lancé
vers un poisson qui avait la bouche ouverte.
    Béatrice n’entretenait pas de plus
douce espérance. Elle se voyait habitant l’hôtel de Robert, y tramant ses
intrigues, maîtresse d’abord secrète, puis avouée, car ce sont là choses que le
temps installe… Et qui sait ? Madame de Beaumont, comme toute créature
humaine, n’était pas éternelle. Certes, elle avait sept ans de moins que
Béatrice et jouissait d’une santé qui semblait excellente ; mais quel
triomphe, justement, pour une femme plus âgée, de supplanter une cadette !
Est-ce qu’un envoûtement bien accompli ne pourrait pas, d’ici quelques années,
faire de Robert un veuf ? L’amour ôte tout frein à la raison, toute limite
à l’imagination. Béatrice se rêvait par moments comtesse d’Artois, en manteau
de pairesse…
    Et si le roi, comme cela pouvait
aussi survenir, trépassait, et que Robert devînt régent ? En chaque
siècle, il existe des femmes petitement nées qui se haussent ainsi jusqu’au
premier rang, par le désir qu’elles inspirent à un prince, et parce qu’elles
ont des grâces de corps et une habileté de tête qui les rendent supérieures,
par droit naturel, à toutes les autres. Les dames empérières de Rome et de
Constantinople, à ce que racontaient les romans des ménestrels, n’étaient pas
toutes nées sur les marches d’un trône. Dans la société des puissants de ce
monde, c’est allongée qu’une femme s’élève le plus vite…
    Béatrice mit, pour se laisser
ferrer, juste le temps nécessaire à bien s’assurer prise sur celui qui la
voulait prendre. Il fallut que Robert, pour la convaincre, s’engageât assez, et
qu’il lui eût dix fois certifié qu’elle entrerait à l’hôtel d’Artois, et les
titres et prérogatives dont elle jouirait, et quelle terre lui serait donnée…
Oui, alors, peut-être, elle pouvait indiquer un envoûteur qui, par image de cire
bien travaillée, aiguilles plantées et conjurations prononcées, ferait œuvre
nocive sur Mahaut. Mais encore Béatrice feignait d’être traversée
d’hésitations, de scrupules ; Mahaut n’était-elle pas sa bienfaitrice et
celle de toute la famille d’Hirson ?
    Agrafes d’or et fermaux de
pierreries bientôt s’accrochèrent au cou de Béatrice ; Robert apprenait
les usages galants. Caressant de la main le bijou qu’elle venait de recevoir,
Béatrice disait que, si l’on voulait que l’envoûte réussît, le plus sûr et le
plus rapide moyen consistait à prendre un enfant de moins de cinq ans auquel on
faisait avaler une hostie blanche, puis de trancher la tête de l’enfant et d’en
égoutter le sang sur une hostie noire que l’on devait ensuite, par quelque
subterfuge, faire manger à l’envoûté. Un enfant de moins de cinq ans, cela
requérait-il grand-peine à trouver ? Combien de familles pauvres,
surchargées de marmaille, eussent consenti à en vendre un !
    Robert faisait la grimace ;
trop de complications pour un résultat bien incertain. Il préférait un bon
poison, bien simple, qu’on administre et qui fait son œuvre.
    Béatrice enfin sembla se laisser
fléchir, par dévouement à ce diable qu’elle adorait, par impatience de vivre
auprès de lui, à l’hôtel d’Artois, par espérance de le voir plusieurs fois le
jour. Pour lui, elle serait capable de tout… Elle s’était déjà, depuis une
semaine, procuré telle provision d’arsenic blanc qu’elle eût pu exterminer le
quartier, lorsque Robert crut triompher en lui faisant accepter cinquante
livres pour en acquérir.
    Il fallait maintenant attendre une
occasion favorable. Béatrice représentait à Robert que Mahaut était entourée de
physiciens qui accouraient au moindre malaise de Madame ; les cuisines
étaient surveillées, les échansons diligents… L’entreprise n’était pas facile.
    Et puis, soudain, Robert changea
d’avis. Il avait eu un long entretien avec le roi. Philippe VI, au vu du
rapport des commissaires qui avaient si bien travaillé sous la direction du
plaignant, et plus que jamais convaincu du bon droit de son beau-frère, ne
demandait qu’à servir ce dernier. Afin d’éviter un procès d’une conclusion si
certaine, mais dont le retentissement ne pouvait être que déplaisant pour la
cour et tout le royaume, il avait résolu de convoquer Mahaut et de la convaincre
de renoncer à

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