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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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l’Artois.
    — Elle n’acceptera jamais, dit
Béatrice, et tu le sais aussi bien que moi, Monseigneur…
    — Essayons toujours. Si le roi
parvenait à lui faire entendre raison, ne serait-ce pas la meilleure
issue ?
    — Non… la meilleure issue c’est
le poison.
    Car l’éventualité d’un règlement
amiable n’arrangeait nullement les affaires de Béatrice ; son entrée à
l’hôtel de Robert se trouvait reculée. Béatrice devrait rester dame de parage
de la comtesse jusqu’à ce que celle-ci s’éteignît, Dieu savait quand !
C’était elle à présent qui voulait presser les choses ; les obstacles, les
difficultés par elle-même soulevées, ne l’effrayaient plus. L’occasion
favorable ? Elle en avait plusieurs chaque jour, ne fût-ce que lorsqu’elle
portait à la comtesse Mahaut ses tisanes ou ses médecines…
    — Mais puisque le roi la convie
dans trois jours à Maubuisson ? insistait Robert.
    Les deux amants en convinrent de la
sorte : ou bien Mahaut acceptait la proposition royale de se démettre de
l’Artois, et alors on lui laisserait la vie ; ou bien elle refusait et,
dans ce cas, le jour même Béatrice lui administrerait le poison. Quelle
meilleure opportunité pouvait-on saisir ? Mahaut prise de malaise en
sortant de la table du roi ! Qui donc oserait soupçonner ce dernier de
l’avoir fait assassiner, ou même le soupçonnant, oserait le dire ?
    Philippe VI avait proposé à
Robert d’être présent à l’entrevue de conciliation ; mais Robert refusa.
    — Sire mon frère, vos paroles
auront plus d’effet si je ne suis point là ; Mahaut me hait beaucoup, et
ma vue risquerait de l’entêter plutôt que de l’encourager à se soumettre.
    Il pensait cela sérieusement, mais
en outre il voulait, par son absence, se dérober à toute éventuelle accusation.
    Trois jours plus tard, le 23
octobre, la comtesse Mahaut, cahotée dans sa grande litière toute dorée et
décorée des armes d’Artois, avançait sur la route de Pontoise. Son seul enfant
survivant, la reine Jeanne, veuve de Philippe le Long, était du voyage.
Béatrice se tenait en face de sa maîtresse sur un tabouret de tapisserie.
    — Que croyez-vous, Madame… que
le roi vous veuille proposer ? disait Béatrice. Si c’est un accommodement…
souffrez que je vous donne mon conseil… je vous engage à refuser. Je vous aurai
avant peu toutes bonnes preuves contre Monseigneur Robert. La Divion est prête,
cette fois, à nous livrer de quoi le confondre.
    — Que ne l’amènes-tu un peu,
cette Divion qui t’est devenue si familière et que je ne vois jamais ? dit
Mahaut.
    — Cela ne se peut, Madame… elle
craint pour sa vie. Si Monseigneur Robert l’apprenait, elle n’entendrait pas
messe le matin suivant. Moi-même elle ne me vient visiter que de nuit à la
maison Bonnefille… et toujours escortée de plusieurs valets qui la gardent.
Mais refusez fortement, Madame, refusez !
    Jeanne la Veuve, en robe blanche,
regardait défiler le paysage et se taisait. Ce fut seulement quand les toits
aigus de Maubuisson apparurent au loin, par-dessus les masses rousses de la
forêt, qu’elle ouvrit la bouche pour dire :
    — Vous rappelez-vous, ma mère,
il y a quinze ans…
    Il y avait quinze ans que, sur ce
même chemin, en robe de bure et la tête rasée, elle hurlait son innocence dans
le chariot noir qui l’emmenait vers Dourdan. Un autre chariot noir emmenait sa
sœur Blanche et sa cousine Marguerite de Bourgogne vers Château-Gaillard.
Quinze ans !
    Elle avait été graciée, elle avait
retrouvé la tendresse de son époux. Marguerite était morte. Louis X était
mort… Jamais Jeanne n’avait posé de questions à Mahaut sur les conditions de la
disparition de Louis Hutin et du petit Jean I er … Et Philippe le
Long était devenu roi, pour six ans, et il était mort à son tour. Il semblait à
Jeanne qu’elle eût vécu trois vies distinctes ; la première se terminait,
loin dans le passé, avec l’atroce journée de Maubuisson ; dans la seconde,
elle était couronnée reine de France à Reims, auprès de Philippe ; et
puis, dans sa troisième vie, elle devenait cette veuve, entourée d’égards mais
éloignée du pouvoir, et assise en ce moment dans la grande litière. Trois
vies ; et l’étrange impression d’avoir été trois personnes différentes qui
avaient peine à concorder. Sa propre continuité, elle ne la ressentait que par
la présence de cette mère imposante,

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