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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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effleura d’un baiser machinal
la joue de Béatrice. Il lui posa sa lourde main sur les reins, l’y tint un
moment, et son geste s’acheva en une petite tape indifférente. Non, décidément,
il ne la désirait plus ; et c’était bien là, pour elle, la pire offense.
     

V

CONCHES
    L’hiver fut relativement doux cette
année-là. Avant le jour levé, Lormet le Dolois venait secouer l’oreiller de
Robert. Celui-ci poussait quelques grands bâillements de fauve, se mouillait un
peu le visage dans le bassin que lui présentait Gillet de Nelle, sautait dans
ses vêtements de chasse, tout de cuir et la fourrure en dedans, les seuls
vraiment bien agréables à porter. Puis il allait ouïr messe basse en sa
chapelle ; l’aumônier avait ordre de dépêcher l’office, Évangile et
communion, en quelques minutes. Robert tapait du pied si le frère s’attardait
un peu trop à prier ; et le ciboire n’était pas rangé qu’il avait déjà
passé la porte.
    Il avalait un bol de bouillon chaud,
deux ailes de chapon ou bien un morceau de porc gras, avec un bon hanap de vin
blanc de Meursault qui vous dégourdit l’homme, coule comme de l’or dans la
gorge, et réveille les humeurs endormies par la nuit. Tout cela debout.
Ah ! si la Bourgogne n’avait produit que ses vins, au lieu d’avoir aussi
ses ducs ! « Manger matin donne grand santé », disait Robert qui
croquait encore en gagnant son cheval. Le coutel au côté, la corne en sautoir,
et son bonnet de loup enfoncé sur les oreilles, il était en selle.
    La meute de chiens courants, tenue
sous le fouet, aboyait à pleines gueules ; les chevaux piaffaient, la
croupe piquée par le petit froid matinal. La bannière claquait sur le haut du
donjon, puisque le seigneur séjournait au château. Le pont-levis s’abaissait,
et chiens, chevaux, valets, veneurs, à grand vacarme, déboulaient vers la mare,
au cœur du bourg, et gagnaient la campagne à la suite du gigantesque baron.
    Il traîne, les matins d’hiver, sur
les près du pays d’Ouche, une petite brume blanche qui a une odeur d’écorce et
de fumée. Robert d’Artois aimait Conches, décidément ! Ce n’était qu’un
petit château, certes, mais bien plaisant, avec de bonnes forêts à l’entour.
    Un soleil pâle dissipait la brume
juste comme on arrivait au rendez-vous où les valets de limier présentaient
leur rapport ; ils avaient relevé traces et volcelets. On attaquait à la
meilleure brisée.
    Les bois de Conches regorgeaient de
cerfs et de sangliers. Les chiens étaient bien créancés. Si l’on empêchait le
sanglier de s’arrêter pour pisser, il était pris en guère plus d’une heure. Les
grands cerfs majestueux emmenaient leur monde un peu plus longtemps, par de
longs débuchers où la terre volait en gerbes sous les pieds des chevaux, et ils
allaient se faire aboyer, raides, haletants, la langue sortie sous leur lourde
ramure, dans quelque étang ou marais.
    Le comte Robert chassait au moins
quatre fois la semaine. Cela ne ressemblait pas aux grands laisser-courre
royaux où deux cents seigneurs se pressaient, où l’on ne voyait rien, et où,
par crainte de perdre la compagnie, on chassait le roi plutôt que le gibier.
Ici, vraiment, Robert s’amusait entre ses piqueurs, quelques vassaux du voisinage
fort fiers d’être invités, et ses deux fils qu’il commençait de former à l’art
de vénerie que tout bon chevalier se doit de connaître. Il était content de ses
fils, dix et neuf ans, qui grandissaient en force ; il surveillait leur
travail aux armes et à la quintaine. Ils avaient de la chance, ces
gamins ! Robert avait été trop tôt privé de son père…
    Il servait lui-même l’animal
hallali, prenant son coutelas pour le cerf, ou un épieu pour le sanglier. Il y
montrait une grande dextérité et éprouvait plaisir à sentir le fer, appuyé au
juste endroit, s’enfoncer d’un coup dans la chair tendre. Le gibier et le
veneur étaient également fumants de sueur ; mais l’animal s’écroulait,
foudroyé, et l’homme restait debout.
    Sur le chemin du retour, tandis
qu’on commentait les incidents de la poursuite, les vilains des hameaux, en
guenilles et les jambes entourées de toiles déchirées, surgissaient de leurs
masures, pour courir baiser l’éperon du seigneur, d’un mouvement à la fois
extasié et craintif ; une bonne habitude qui se perdait en ville.
    Au château, dès le maître apparu, on
cornait l’eau pour la dînée de midi.

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