Le Lis et le Lion
des
gâteaux chauds.
À cet endroit du conte, Robert
d’Artois se mettait à rire, d’avance. Et Watriquet poursuivait :
… Lors commença Margue à suer
Et boire à grandes hanapées.
En peu d’heures eurent échappées
Trois chopines parmi sa gorge.
« Dame, foi que je dois
saint Georges,
Dit Maroclippe, sa commère,
Ce vin me fait la bouche
amère ;
Je veux avoir de la grenache,
Si devais-je vendre ma vache
Pour en avoir aux mains plein
pot. »
Assis près de la grande cheminée où
un arbre entier flambait, Robert d’Artois, renversé en arrière, gloussait d’un
gros rire de gorge.
C’était toute sa jeunesse, passée
dans les tavernes, bordeaux et autres mauvais lieux, qu’il revoyait à travers
ce conte. En avait-il assez connu de ces franches garces, attablées et
s’enivrant avec application à l’insu de leurs maris !
À minuit, chantait Watriquet,
Margue, Marion et la coiffière, ayant tâté de tous les vins, de l’Arbois
jusqu’au Saint-Mélion, et s’étant fait porter gaufres, oublies, amandes pelées,
poires, épices et noix, étaient encore à l’auberge. Margue propose d’aller
danser dehors. Le tavernier exige, pour les laisser sortir, qu’elles déposent
leurs habits en gage ; ce à quoi elles consentent volontiers, saoules
qu’elles sont ; en un tournemain elles se défont de leurs robes et
pelissons, cottes, chemises, bourses et courroies.
Nues comme au jour de leur
naissance, les voilà parties dans la nuit de janvier, braillant à
tue-tête : « Amour au vireli m’en vois »,
titubant, trébuchant, s’écorchant aux murs, se rattrapant l’une à l’autre, pour
finalement s’écrouler, ivres mortes, sur les monceaux d’ordures.
Le jour se lève, les portes
s’ouvrent. On les découvre toutes souillées et sanglantes et ne bougeant pas
plus que « merdes en la mi voie ». On va quérir les
maris qui les croient assassinées ; on les porte au cimetière des
Innocents ; on les jette à la fosse commune.
L’une sur l’autre, toutes
vives ;
Or leur fuyait par les gencives
Le vin, et par tous les conduits.
Elles ne sortent de leur sommeil que
la nuit suivante, au milieu du charnier, couvertes de terre, mais pas encore
dessaoulées, et se mettent à crier dans le cimetière tout noir et gelé :
« Drouin, Drouin, où es
allé ?
Apporte trois harengs salés
Et un pot de vin du plus fort
Pour faire à nos têtes confort ;
Et ferme aussi la grand
fenestre ! »
C’était un rugissement que poussait
alors Monseigneur Robert. Le ménestrel Watriquet avait peine à finir son conte
car, pour plusieurs minutes, le rire du géant emplissait la salle. Les yeux
larmoyants, il se frappait les côtes à deux mains. Dix fois il répétait : « Et
ferme aussi la grand fenestre ! » Sa joie était si contagieuse
que toute la maisonnée se tordait avec lui.
— Ah ! les
drôlesses ! Toutes dépouillées, les naches à la bise… Et ferme aussi la
grand fenestre !
Et il repartait à rire.
Au fond, c’était une bonne vie,
celle qu’on menait à Conches… Madame de Beaumont était une bonne épouse, le
comté de Beaumont était un bon petit comté, et qu’importait qu’il fût domaine
de la couronne puisque les revenus en étaient assurés ? Alors
l’Artois ?… Était-ce si important l’Artois, après tout, cela méritait-il
tant de soucis, luttes et besognes ?… « La terre où l’on me couchera
un jour, que ce soit celle de Conches ou celle d’Hesdin… »
Ce sont là propos qu’on se tient
lorsqu’on a passé la quarantaine, qu’une affaire engagée ne tourne pas
complètement à souhait, et qu’on dispose de deux semaines de loisirs. Mais l’on
sait bien, dans le fond, qu’on ne se tiendra pas à cette sagesse fugitive… Tout
de même, demain, Robert irait courir un cerf du côté de Beaumont, et il en
profiterait pour inspecter le château, voir s’il ne convenait pas de
l’agrandir…
Ce fut en rentrant de Beaumont, où
il s’était rendu avec son épouse, l’avant-dernier jour de l’année, que Robert
d’Artois trouva ses écuyers et ses valets l’attendant, tout affolés, sur le
pont-levis de Conches.
On était venu dans l’après-midi se
saisir de la dame de Divion pour l’emmener en prison, à Paris.
— S’en saisir ? Qui est
venu s’en saisir ?
— Trois sergents.
— Quels sergents ? D’ordre
de qui ? hurla Robert.
— Du roi.
— Allons donc ! Et vous
avez laissé
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