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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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à l’eau de lis, puis, avec des gestes aussi doux qu’il m’était possible, j’étalai ma pommade sur la plaie. L’oiseau ne bougeait pas, confiant, bercé par la douce mélodie que je chantais et dont il savait le langage.
    – Tu deviens aussi savante que ta mère, petite, murmura l’homme, admiratif.
    Personne ne savait qui était mon père. Guenièvre n’avait jamais éprouvé le besoin de le dire. En conséquence, j’avais adopté Geoffroi comme tel. Il en était conscient et me le rendait bien. J’achevai mon traitement par un bandage de feuilles, puis recouchai l’oiseau dans sa cage, prête à l’entretien que le comte paraissait souhaiter.
    – Vous vouliez me parler, n’est-ce pas ?
    Il hocha la tête en souriant. Il s’amusait toujours du fait que je puisse deviner ses intentions. Il s’assit près de moi sur le petit banc de pierre. De cet endroit du château, on apercevait le pont-levis et, par les créneaux des remparts derrière nous, la vue qui s’élargissait paisiblement sur la campagne environnante. J’avais fait mon domaine de cette cour intérieure haute, derrière l’une des tours de guet. J’y avais installé mes colombes et mes pigeons, leur apprenant à force de patience et d’amour à devenir des messagers. Seuls mère et Geoffroi venaient me rendre visite, jamais sans but.
    J’attendis. Il semblait mal à l’aise. C’était donc d’importance. Il ramassa à terre une petite flûte de buis que j’avais façonnée quelques jours auparavant, lança trois notes dans l’air de ma patience, puis, se raclant la gorge, murmura :
    – Tu n’ignores rien, je le sais, de tout ce qui se dit ou se pense ici. Henri va grandir et un jour peut-être, si Dieu le veut, il deviendra roi d’Angleterre. Il aura besoin à ses côtés d’un être fort, qui saura lui éviter les erreurs. Peut-être est-ce cette damoiselle d’Aquitaine. Ta mère semble le croire…
    Il marqua une pause, puis continua d’une voix solennelle :
    – Henri aura besoin de toi, Loanna, plus que de toute autre. Dans le sang de cette Aliénor, il y a la violence, peut-être les vices de son grand-père, le troubadour. Lui et moi, nous nous ressemblions par ce caractère entier qui méprise les faux hommages. Mais en aucun cas je n’aurais pu être son ami. Si Henri m’est semblable et je le souhaite, une union avec la petite-fille de Guillaume risque d’être dévastatrice, comprends-tu ?
    – Ne vous inquiétez point, père. Je protégerai Henri. J’irai en Aquitaine et deviendrai l’amie d’Aliénor. Je ferai ce pour quoi je suis venue au monde : servir ma terre et mon roi.
    Il me regarda avec respect et passa une main affectueuse sur mon front pour écarter les boucles sauvages qui y dansaient. J’avais deviné bien avant qu’il ne parle ce qu’il voulait de moi, et c’était tout ce qui importait.
    J’étais prête. Prête à affronter demain.

3
     
     
    Ce matin-là, 25 février 1137, comme tous les matins depuis une semaine, il y avait du brouillard, un brouillard qui ondulait à terre tel un serpentin vaporeux de mousseline. Les formes s’en trouvaient arrondies, fondues, dans une harmonie de gris perle et de bronze. La rivière à mes pieds glougloutait doucement, sertie dans son écrin de mousse et de bruyère. Et comme nulle part ailleurs, ici, à Brocéliande, en plein cœur de la Bretagne, le temps semblait suspendu. Là étaient mes racines, les toutes premières, celles du premier maillon de la chaîne de vie.
    Quatre années s’étaient écoulées depuis la naissance d’Henri. Le roi d’Angleterre, Henri I er Beauclerc, était mort en 1135 et ce qu’il avait craint s’était réalisé : Etienne de Blois s’était emparé du trône par de nombreuses concessions aux barons et aux prélats, soutenu en cela par le roi de France. Depuis ce jour, dame Mathilde et lui se faisaient une guerre ouverte sans, hélas, que cela pût changer le cours des choses. Il eût fallu bien davantage que des prétentions légitimes pour arracher à ce parvenu cette terre tant convoitée. La suggestion de mère d’unir Henri à la jeune duchesse Aliénor d’Aquitaine prenait désormais tout son sens.
    Mère m’avait préparée lentement à recevoir l’offrande de la terre, l’ultime bénédiction de mes ancêtres avant de me confronter à mon destin. Elle m’avait enseigné les rituels magiques, ceux que les druides se transmettent de bouche à oreille, et je savais désormais qui

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