Le lit d'Aliénor
en pèlerinage à Compostelle, prier et se répentir, espérant que cela lui rendrait quelque raison de vivre.
La porte s’ouvrit dans un grincement dont les pierres massives se firent l’écho. Il entra et vit, assises auprès de l’âtre crépitant, deux silhouettes familières. L’abbesse se tenait à quelques pas d’eux, droite et raide, de sorte que les rides de son visage semblaient amidonnées du même onguent que les plis de sa robe. Il abaissa la tête et vint humblement poser un genou à terre devant elle.
— Relevez vous mon, fils. Vous connaissez le comte d’Anjou et son épouse, dame Mathilde.
Guillaume les salua courtoisement d’un signe de tête. L’abbesse poursuivit d’une voix chevrotante :
— Ils ont sollicité la discrétion de ces murs afin de vous entretenir d’une affaire de la plus haute importance, qui demande pour l’heure un secret absolu. J’ai entendu avec intérêt leur requête et leur ai donné ma bénédiction. Il ne leur manque que la vôtre, mon fils. Mais je vous laisse seul juge de la sagesse et de l’honneur de leurs propos.
L’abbesse s’assit péniblement sur sa chaise, croisa les mains sur sa poitrine et s’abandonna à l’ombre qui baignait ce recoin de la pièce austère, affichant ainsi sa réserve.
Après quelques banalités d’usage, Geoffroi le Bel s’engagea dans le vif du sujet :
— Vous n’êtes pas sans connaître les différents qui nous opposent à la maison de Blois. Or, une évolution favorable des évènements nous porte à croire que dame Mathilde sera prochainement couronnée reine d’Angleterre, et selon l’ordre des choses, si Dieu le veut, notre petit Henri sera appelé à lui succéder. C’est la raison pour laquelle nous souhaiterions, malgré son jeune âge, que lui soit promise votre fille aînée, Aliénor. Une union entre l’Anjou et l’Aquitaine serait profitable à nos deux familles, ainsi qu’à leurs descendants.
Guillaume secoua sa lourde tête d’un air satisfait, prit le temps d’une inspiration et répondit :
— Je vous estime, Geoffroi, et je trouve votre requête fort opportune. Mes pensées me conduisaient justement à me préoccuper de l’avenir de mon aînée. Aliénor est une jeune fille à présent. Elle festoie et se plaît en compagnie des troubadours. Je crois cependant qu’elle aurait besoin de recueillement et de solitude pour tempérer son caractère excessif. Votre Henri est fort jeune encore, néanmoins, votre idée me séduit. Mais le fait est que nous ne pouvons unir ces enfants trop tôt. Que me proposez-vous ?
— De placer Aliénor en ces lieux une dizaine d’années. Promise à Henri, elle sortira du couvent pour célébrer leurs épousailles et ceindre la couronne d’Angleterre. Nous ne voulons pourtant pas la retrancher du monde ; aussi nous envisageons de lui attacher l’amitié de la fille de la baronne Guenièvre de Grimwald, fidèle à dame Mathilde. Elles sont du même âge. Cela l’aiderait sans aucun doute à accepter son isolement et à adoucir ce trait de caractère dont vous nous faites l’éloge, ajouta-t-il en connivence. Leur rapprochement scellerait de fait notre entente.
— Il me semble fort bien pensé et convenable.
— Il va de soi que pour l’heure, et dans l’intérêt même de nos enfants, cette entrevue doit rester secrète, ajouta Mathilde.
— Je pars pour les chemins de Compostelle dans quelques semaines. A mon retour, nous clarifierons cela par écrit et règlerons les détails de la dot. Jusqu’à là, vous pouvez être assurés de mon entière discrétion et de mon engagement, conclut Guillaume en serrant fraternellement la main tendue de Geoffroi.
Lorsque la porte s’ouvrit sur le corridor pour laisser le duc d’Aquitaine sortir, un glissement de pas furtifs s’éteignit avec la lueur d’une chandelle. Guillaume chassa de son esprit la désagréable sensation que le frôlement y produisit. D’ailleurs en ce lieu de recueillement qui pouvait avoir à se fondre dans l’obscurité aussi rapidement ?
En rejoignant son escorte près de la rivière, à l’orée de la forêt, il avait retrouvé sa sérénité. « Ainsi le sort d’Aliénor est joué, et au mieux des intérêts de l’Aquitaine », pensa-t-il. Pour la première fois depuis longtemps, un sourire léger étira ses lèvres sèches.
– Maudite soit ma cousine !
Étienne de Blois fulminait. Il faisait les cent pas dans sa demeure, renversant parfois
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