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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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les cordiers, les drapiers, les tisserands, les orfèvres, les tonneliers, les charretiers, les marchands de bestiaux qui redoublaient de travail, il y avait ces philosophes qui, devant Sainte-Geneviève, déclamaient des vers à grand renfort de théologie. Il n’était pas rare que les élèves achèvent leurs discours par quelques empoignades ou bien quelques légumes lancés sur leurs camarades. Et puis il y avait les autres : ces mendiants, bossus, boiteux ou difformes, qui avaient afflué en nombre pour alléger la conscience des bien-portants de quelques pièces. Et encore ceux, fourbes et noirauds, qui sortaient la nuit et détroussaient les notables cossus venus pour affaires.
    Tout cela créait, dans un Paris déjà difficilement praticable en temps normal, un épouvantable remue-ménage de rues encombrées, où le ton montait très vite entre les gens bousculés, parfois foulés aux sabots des chevaux. La panique était journalière, remplacée, la nuit tombée, par des cris et des bruits de lutte. À cette heure-là, personne n’ouvrait plus ses volets ni n’éclairait sa chandelle, à moins d’être dérangé par quelque ivrogne pacifique chantant sous la fenêtre, que l’on décourageait en lui vidant sur le chef un bassin d’urine.
     
    J’avais reçu un messager juste avant l’office de complies. Nous étions au surlendemain du départ de Geoffroi d’Anjou, et je le croyais déjà loin de Paris. Il n’en était rien. Se sachant surveillé par les espions d’Étienne de Blois, il avait feint son départ pour mieux me rencontrer en secret et me donnait rendez-vous, ce même soir, derrière le confessionnal de Sainte-Geneviève.
    Je connaissais bien l’endroit pour y avoir, à plusieurs reprises, retrouvé un envoyé du comte. C’était un recoin blotti entre la paroi en bois du confessionnal et un gros pilier décoré de feuilles de lierre peintes en vert bronze rehaussées d’or. Deux personnes pouvaient s’y dissimuler à l’abri des allées et venues, dans la plus totale discrétion.
    Geoffroi d’Anjou m’y attendait, recouvert d’une bure de lin beige qui le faisait ressembler à un des moines de Sainte-Geneviève. J’avais jeté une capeline sombre sur mes épaules pour me fondre dans l’obscurité et regretté de n’avoir pu aviser de cette entrevue Denys, qui s’était éclipsé sitôt l’office achevé. Il m’aurait certainement fait escorter dans ces rues dont il prétendait qu’elles étaient de moins en moins sûres. Pour l’heure, ne pouvant faire confiance à personne en dehors de lui, j’avais préféré venir seule, me dissimulant au mieux pour n’attirer aucune convoitise.
    Je laissai Granoë à un bon moine qui veillait à l’écurie pendant les offices et gravis le parvis. L’église était déserte si l’on exceptait deux ou trois crânes tonsurés agenouillés de part et d’autre des rangs, recueillis sur un geste de prière muette. Aucun d’eux ne s’inquiéta de ma présence. Sans perdre un instant, je me glissai vers l’endroit indiqué.
    Geoffroi m’embrassa avec tendresse. Il avait la barbe plus dure que jamais sur ma peau, mais je fus heureuse de cette marque d’affection.
    – Ma douce enfant, me murmura-t-il en connivence, je ne puis m’attarder, vous vous en doutez, il me fallait pourtant vous voir avant notre folle équipée en Terre sainte et vous remettre ceci.
    Il prit ma main, l’ouvrit et y plaça un gros anneau d’argent orné d’une améthyste en cabochon. Puis, refermant mes doigts sur le bijou, il continua, d’un ton à peine audible :
    – Vous la remettrez au basileus Comnène dès que l’ost de France sera à Constantinople. Elle n’a qu’une valeur de symbole, mais cette pierre a pour ces gens la couleur de la trahison. Il vous prêtera l’oreille.
    – Que devrai-je lui demander ?
    – La mort du roi.
    Je frémis. Ainsi le temps était venu ! Mais déjà Geoffroi poursuivait :
    – Comnène est un fourbe qui a pris alliance avec les Turcs et fait du négoce avec eux. Cette croisade ne sert pas ses intérêts. Il est assez malin pour jouer sur les deux tableaux et vendre à bon prix à l’un ce qu’il a déjà vendu comme butin de guerre à l’autre. La mort du roi de France sera une bonne affaire pour cet homme, mais vous devrez insister sur ce fait : lui et lui seul. Usez de vos visions clairvoyantes pour déterminer l’endroit propice à une embuscade et menez-y l’armée en prenant soin

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