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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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conséquence me débrouiller seule et m’apprêtai avec plaisir, savourant cette attente merveilleuse qui précède les grands moments.
    Lorsque je jugeai que ma mine était plus rayonnante et superbe que jamais, je me dirigeai vers la salle de musique. Aliénor et ses compagnes s’y tenaient, au dire des pages que j’avais croisés dans les couloirs. La voix de Jaufré me cueillit au seuil de la porte à deux battants. Ils étaient entrebâillés, et, en m’approchant, je pus le voir, assis sur un tabouret bas, sa cithare coincée entre les genoux, un parterre de soie et de dentelles à ses pieds. Alanguies sur des coussins à même les épais tapis de laine, ces dames levaient vers lui un regard bouleversé. Jaufré n’avait rien perdu de son charisme et, si son visage était plus marqué de rides, il était tel qu’en mon souvenir, humble et noble à la fois, illuminé par cette musique qui naissait de ses doigts et s’envolait par sa bouche. Mon cœur bondit dans ma poitrine à en déchirer les lacets de mon corsage. Comme il m’avait manqué toutes ces années ! Comme je l’aimais ! Alors, doucement, je poussai les portes et entrai. Aussitôt son regard accrocha le mien, figeant sur ses doigts les notes de musique. Et ce fut tel que je l’avais pressenti. Comme une vague immense qui submerge la plage et la fait sienne. Le même bonheur indicible de se savoir l’un à l’autre pour toujours éclaira nos traits d’un sourire qui se passait de commentaires. Tous les visages convergèrent vers moi, attirés sans doute par la transformation qui s’était opérée sur celui du troubadour.
    Ma reine s’avança vers moi et me prit les mains.
    – Loanna ! Que je suis heureuse de vous revoir parmi nous ! mentit-elle. Avez-vous fait bon voyage ?
    – Excellent, ma reine, bien que je me sois hâtée vers Paris. Le temps me comptait sans vous.
    Elle me conduisit telle une enfant devant Jaufré, qui s’était levé à son tour et me couvait d’un regard tendre. Tant que je ne pus m’en détacher. Il m’accueillit par une profonde et gracieuse révérence. Pourtant, ce fut à la reine qu’il s’adressa lorsqu’il releva le buste :
    – Votre Majesté peut s’enorgueillir de posséder désormais le plus beau des parterres. Il est de ces fleurs rares et lointaines qui, lorsqu’elles daignent s’ouvrir, font d’un jardin le plus enchanteur des paradis. Que Dieu bénisse le jour où j’y fus convié !
    – Que Dieu bénisse le jour où votre voix, tel le chant d’un rossignol, éveilla le printemps qui dormait en son cœur, messire de Blaye !
    Nos regards se fondirent en un même accord, et je sus qu’il était inutile désormais que j’en explique davantage. C’était comme si le temps n’avait rien abîmé, rien sali. Et, tout au contraire, nous avait rapprochés encore.
    Aliénor partit d’un rire joyeux et lança à la ronde, en battant des mains :
    – Damoiselles, c’est un grand jour que ce jourd’hui ! Notre amie nous revient plus taquine que jamais, nous accueillons céans le plus grand troubadour de cette terre et dans quelques semaines, si Dieu le veut, nous apprendrons à ces maudits Turcs à se repentir de leur orgueil païen. Messire de Blaye, que votre chant d’amour lointain soit notre bannière pour la gloire de Dieu et du royaume de France !
    – Pour la gloire de Dieu et du royaume de France ! reprirent en chœur les dames qui s’étaient dressées d’un même élan.
    Oui, ce jourd’hui était un grand jour !

DEUXIÈME PARTIE

1
     
     
    Les deux semaines qui précédèrent le départ ne furent qu’une suite ininterrompue de disputes entre Louis et Aliénor, tandis qu’une exaltation de plus en plus folle gagnait le palais, la Cité et le pays entier. On ne pensait plus, ne parlait plus, ne vivait plus que par la croisade.
    Aliénor augmentait chaque jour le nombre des chariots. C’était tel coffret à bijoux oublié, tel présent pour le basileus Comnène à Constantinople, tel autre pour son oncle à Antioche, telle malle emplie de toilettes, telle personne recommandée pour sa bravoure ou ses multiples talents d’amuseur. Bref, de cent soixante-dix chariots, on en était passé à plus de deux cents en moins de vingt jours.
    Louis était furieux. Il tempêtait, grondait, menaçait, pour finalement s’effondrer en prière et supplier Dieu tout-puissant de rendre à sa femme une raison qui lui faisait défaut. Pour comble d’orgueil, cette

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