Le lit d'Aliénor
dernière avait fini par lui signifier que le Très-Haut Lui-même accordait grâce à ses prétendus caprices, puisqu’il ne manifestait aucun courroux à son égard. Mieux, il avait facilité jusqu’alors leurs démarches. Louis était désespéré, désemparé et profondément vexé. Quoi de plus naturel en conséquence qu’il se tournât vers Béatrice de Campan. Elle se faisait de plus en plus présente auprès de lui et se faufilait dans ses pas. Aliénor ne disait rien. Bien au contraire ! Que cette gourde s’occupe de Louis lui laissait le champ libre pour ses retrouvailles avec Bernard de Ventadour.
Le grand jour arriva enfin !
En ce 12 mai 1147, la cour se rassembla une ultime fois dans l’abbaye de Saint-Denis. La foule se referma derrière elle telle une vague gigantesque qui interdirait à tout navire de rebrousser chemin.
Le pape Eugène III nous attendait auprès de Bernard de Clairvaux et de l’abbé Suger, qui rayonnait du poids de sa responsabilité. Il demeurait pour veiller sur la France. Ce fut une cérémonie à la mesure de la quête des Francs : sobre et somptueuse à la fois. Il montait une telle ferveur dans l’air ambiant qu’un immense élan d’amour et de fraternité gonflait les cœurs et les courages. Jamais on n’eût pu penser en découvrant pareille émulation que nous partions au-devant de la mort. Celle qui guettait nombre d’entre nous, et celle plus injuste que nous allions donner pour convertir les infidèles. Je ne pouvais m’empêcher de ressentir au fond de moi cette étonnante contradiction. J’étais gagnée autant que les autres par ce vertige, et tout à la fois révulsée par ce que je m’apprêtais à faire, complice de ce Dieu de mensonge qui associait l’amour à la boucherie, la punition à la Rédemption, le martyre à la vérité du Christ. Pour trouver un équilibre entre ces vagues qui tour à tour m’entraînaient du dégoût de moi-même à l’excitation, je serrais la main de Jaufré de toutes mes forces, me raccrochant à sa terre, comme un arbre qui sentirait la tempête le tordre pour le déraciner. Ma seule raison, ma seule excuse, c’était lui désormais, lui et l’Angleterre !
Et puis soudain, alors que j’en étais là de ces bouleversements intérieurs, survint la lumière. Eugène III avait remis la besace et le bourdon bénits aux époux royaux, et Louis s’avançait pour ramasser le gonfanon rouge et or brodé de fleurs de lys que, toutes, nous avions confectionné durant des jours. Bernard de Clairvaux en avait recouvert l’autel. Au moment où Louis se penchait au-dessus de l’étoffe, un prisme de couleurs semblable à un arc-en-ciel l’inonda tout entier. Un murmure roula dans l’abbatiale. Aveuglé par la lueur qui le nimbait, Louis prit l’étendard entre ses mains, se retourna lentement et l’éleva devant la foule. Jamais encore je n’avais vu pareille chose. Moi qui savais le moyen de créer la magie, j’étais éblouie par cette lumière qui avait suivi le mouvement du roi et transperçait à présent l’étoffe et ses mains en de multiples rayons jusqu’à terre, le baignant lui et la bannière d’une aura magnifique.
Je n’eus pas le temps de me poser davantage de questions sur la provenance de cette énergie. Elle disparut aussi soudainement qu’elle était venue. Mais, pendant un long moment, la robe de bure du roi resta pailletée de poussière dorée, tandis que son regard empli d’une douceur extrême semblait s’évaporer dans un songe merveilleux. Des voix autour de moi murmurèrent :
– C’est un miracle ! Dieu vient Lui-même de bénir sa bannière !
Si je n’avais bénéficié de l’enseignement de Merlin, sans doute aurais-je pensé la même chose. Pourtant, je n’y parvenais pas. Au milieu de toutes ces questions qui m’assaillaient était une certitude. La lumière n’avait pas cueilli l’étoffe, mais le roi lui-même. Était-ce pour me signifier que sa mort était une injustice ? Si ce n’était Dieu qui l’avait béni, était-ce Merlin ? Je n’avais pas de réponse. Je décidai de m’en remettre au destin. Si la mort du roi était une faute, Merlin ou mère n’aurait qu’à me le dire ! Ils avaient su l’un et l’autre apparaître sous le porche de Sainte-Geneviève pour me ramener à la vie. Ils étaient donc en mesure d’exprimer clairement quelle route je devais suivre. S’ils ne le faisaient pas, alors, je remplirais ma mission. Mêlant ma
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