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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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un signe de croix dans l’air, puis s’en alla se faire raconter tous les détails de cette nuit tumultueuse par nos compagnons d’infortune. Il demanda ensuite qu’un office soit célébré sous la croix immense que les chariots avaient apportée jusqu’ici, et qu’au pied de cette croix dressée, laissée comme un emblème de notre passage, on enterre le connétable de la reine.
    Je ne pus dire un mot avant que le corps de Denys, enveloppé dans des peaux, ne fût recouvert de ce sable doré et chaud.
    Alors seulement, je demandai à voir le roi, seule à seul.
     
    – Parlez, damoiselle de Grimwald.
    C’était la première fois que j’étais seule avec lui. Louis VII me regardait avec pitié et admiration aussi, je le découvrais sans gloire.
    – Sire, peu importe ce que le basileus a fait avant ce jour. J’ai payé de ma chair le désir que je lui inspirais, mais je n’ai pas en moi celui de la vengeance. J’implore Votre Majesté de ne pas compromettre vos relations avec cet homme, pour la bonne poursuite de notre entreprise. Ma modeste personne appartient au Seigneur. Il a choisi de nous éclairer par ce fait sur la traîtrise de notre hôte, que Ses enseignements nous préservent et ne nous égarent point.
    – C’est vous, damoiselle, qui me parlez de Dieu en ces termes ?
    Louis me fixait curieusement, comme s’il savait depuis toujours qui j’étais. J’affrontai son regard. Quelque chose de différent émanait de lui en cette heure. Mais sans doute était-ce ma douleur qui me faisait sentir la sienne, permanente, impalpable, de n’être pas véritablement à sa place sur le trône de France.
    – Peu importe l’opinion que vous avez de moi, Majesté. Je suis votre servante. Toutefois, le mal qui par ma faute a été commis ne doit pas rejaillir sur les nôtres.
    – Vous n’êtes pas responsable de l’abomination de cet homme. Je m’en méfie depuis le premier jour. N’ayez crainte. Nous partirons après-demain. J’ai vu le basileus ce matin et lui ai fait part d’une escarmouche qui avait éclaté dans la nuit ici même, au campement des Croisés. J’ai prétendu que les chevaliers n’en pouvaient plus d’attendre et de s’amollir, justifiant ainsi ma présence et celle de la reine pour apaiser les esprits. Pour l’heure, reposez-vous. Le moment venu, ce chien paiera, soyez-en sûre.
    – Puisse Dieu vous entendre, Votre Majesté.
    Il en fut fait ainsi. Je ne revis pas Manuel Comnène, et deux jours plus tard, soit ce 30 octobre 1147, la longue caravane embarquait sur des barges à fond plat pour gagner Nicée. La veille du départ, Comnène avait annoncé avoir reçu des nouvelles de Conrad ; il venait, à ses dires, de remporter une éclatante victoire sur les Turcs en Anatolie. L’ennemi avait perdu plus de quinze mille hommes. Louis sembla enchanté, mais n’en crut pas un mot.
    Alors que nous accostions sur la rive opposée à Constantinople, mes yeux accrochèrent une colonne de fumée noire qui montait comme un if dans le ciel dégagé de cette fin d’octobre. Elle provenait de notre ancien campement. Jaufré à mes côtés croisa mon regard, et c’est à l’intérieur du sien que je pus lire l’horreur. La croix de bois que nous avions plantée solidement brûlait en un bûcher gigantesque. L’odeur fétide qui s’en dégageait avait un odieux parfum de chair humaine brûlée. Pas un instant je ne doutai que ce fût le corps de Denys, déterré de son tombeau de sable comme une injure portée à la foi chrétienne. Un acte de vengeance sordide, de fourberie, de cruauté et de sadisme. Une longue plainte me poignarda le ventre. Un silence de mort s’abattit sur l’ost tandis que, pétrifié, chacun suivait l’envol des volutes de fumée dans notre direction. Manuel Comnène nous indiquait le chemin. Il était pavé de sang.
     
    Nous approchions de Nicée à petits pas, constamment sur nos gardes. C’est à ce moment que notre chemin croisa celui de Conrad et de ce qui restait de ses hommes. Les Allemands avaient été abandonnés par leurs guides byzantins alors qu’ils étaient engagés dans des défilés interminables, en plein désert d’Anatolie. Ils avaient essuyé pendant trois semaines les attaques répétées des Turcs, sans ravitaillement, puisqu’on leur avait assuré qu’il suffisait de huit jours à peine de nourriture pour arriver à bon port. Ils avaient bien réussi à glaner quelques vivres dans des villages isolés, mais trop

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