Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
Vom Netzwerk:
recueillis comme une plainte ce dernier sursaut :
    – Je t’aime…

4
     
     
    Tout était allé très vite. J’avais refusé qu’on abandonne le corps de Denys à ces fourbes. Geoffroi l’avait chargé sur ses épaules, tandis que l’on m’entraînait dans les ruelles sombres qui remontaient vers la ville. Un instant, on avait dû se cacher, des sabots de chevaux piétinaient les pavés en nombre. Le basileus avait sans doute découvert ma fuite et la tuerie dans l’auberge. Nous étions parvenus au Philopation grâce à l’habileté de Geoffroi de Rançon qui avait étudié de près la cartographie de la ville. Là, on me couvrit d’un mantel sombre et, escortée de mon escouade, je gagnai le campement de l’ost, alors que le jour se levait sur Constantinople.
     
    Au milieu de l’armée royale, j’étais à l’abri de tout danger. Le corps de Denys fut déposé sur un lit de peaux. De peur que le basileus ne cherche à se venger de ma fuite sur Jaufré, je l’implorai de rester à mes côtés. J’étais anéantie. Non par ce que j’avais enduré en captivité, mais par cette mort que je refusais. C’était comme si une partie de moi s’était détachée à jamais. Pour la troisième fois, Denys m’avait protégée. Trois, comme le chiffre des anciens rites : l’eau, l’air et le feu unis sur la pierre du temps. Trois, comme cet enchevêtrement d’amour que nous formions, Jaufré, lui et moi. Trois, comme ces vies que l’on avait reprises pour que j’aie le droit d’exister. Je me faisais horreur !
    Je n’eus pas le courage de faire le récit de ma séquestration aux chevaliers, qui le réclamaient comme une preuve, enfin, de la traîtrise du basileus. Je n’avais plus envie de rien, si ce n’était de quitter cette contrée au plus tôt. Je demandai à Geoffroi de Rançon de prévenir Aliénor. Qu’elle vienne. Il fallait éviter tout incident diplomatique. Pour l’heure, nous avions encore besoin de Comnène. Il savait que les Francs ne risqueraient pas de compromettre cette entente.
    Je restai au chevet de Denys. Ce que je n’avais pas voulu pour mère me brûlait les entrailles pour lui. J’avais beau me répéter qu’il n’était plus qu’un corps sans âme, je n’arrivais pas à le quitter, comme s’il pouvait me protéger encore par sa seule présence physique. Je ne parvenais pas à penser, comme je le sentais par la magie de mère, qu’il serait toujours là, près de moi. Jaufré me laissa seule. Avec les amis du connétable, il s’en alla prier. L’on fit prévenir les deux frères de Denys. Ils ne manifestèrent pas le moindre chagrin. Je n’en attendais pas moins de leur haine, mais je songeai au vieux vicomte, en France, que la nouvelle poignarderait.
    Aliénor vint aux alentours de sexte, m’apportant des vêtements. Elle avait dû prendre sur elle pour ne pas monter à l’assaut des Blachernes et pourfendre l’infâme. Le roi l’avait fait taire. Geoffroi de Rançon avait trouvé les mots. Il fallait abréger le séjour, prétexter que l’on n’avait que trop tardé. Le basileus ne s’y tromperait pas, mais, enrobée de phrases fleuries et de compliments, cette décision paraîtrait naturelle. Pour ce qui était de moi, feindre que nous n’avions aucune nouvelle était la meilleure solution. Il suffisait de prétendre que l’on s’en remettait à la diligence du basileus pour me retrouver. D’ailleurs, il ne restait nul témoin vivant de l’échauffourée de la nuit précédente qui eût pu impliquer les Francs.
    La fourberie avait ici son royaume, il fallait user de ses armes.
    – Loanna, ma douce…
    Je tournai vers Aliénor mon visage défait. Les larmes ne coulaient plus, mais elles avaient laissé leurs grands sillons de sel sur mes joues. C’était à l’intérieur qu’elles s’épanchaient, à l’intérieur que j’avais mal.
    Aliénor vint s’agenouiller à mes côtés et posa avec tendresse un baiser sur les mains jointes de Denys, puis, m’entourant de ses bras, elle se mit à pleurer contre mon épaule. Nous nous berçâmes longtemps de ces mouvements instinctifs de roulis. Elle avait mal aussi, je le savais. Elle avait aimé Denys, pour la vie qu’il m’avait épargnée et aussi pour toutes ces nuits où il l’avait aidée à supporter l’indifférence du roi.
    Lorsque Louis entra à son tour, quelques longues minutes plus tard, c’est ainsi qu’il nous trouva, unies par la même souffrance. Il ne dit mot, traça

Weitere Kostenlose Bücher