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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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précieuse lame.
    Lorsque nous reparûmes sur le pont, les féaux d’Aliénor étaient prêts à affronter l’assaut, car il ne faisait aucun doute que nous ne pouvions échapper à ces vaisseaux rapides et maniables. Malgré toute la science du capitaine, il fallait s’attendre à l’abordage.
    Aliénor avait fait jaillir son épée et regardait la manœuvre habile de l’ennemi qui se rapprochait par le flanc bâbord et s’apprêtait à coller son navire contre le nôtre.
    – Nous sommes perdues, murmura à mes côtés la voix blanche de Sibylle, tandis qu’elle tombait à genoux en pleurant.
    Je la secouai à pleines mains.
    – Debout, Sibylle ! Debout ! Je te l’ordonne ! Lève-toi !
    Elle me regardait sans me voir. Je compris que son esprit revoyait un autre combat et qu’il ne faudrait pas compter sur elle. Je glissai mon bras autour de ses omoplates et l’entraînai vers l’escalier qui menait aux cabines. Jugeant qu’elle ne serait en sûreté nulle part, je soulevai les étoffes qui traînaient sur la couche et la dissimulai derrière un coffre en prenant soin de jeter sur elle les linges, pour faire illusion à sa peur.
    Bouclant la porte derrière moi, je m’élançais vers l’escalier lorsque le choc contre la coque me fit perdre l’équilibre et me renvoya contre la paroi. Un instant assommée, je me redressai et grimpai les marches, l’épée au poing.
    Sur le pont déjà la bataille faisait rage. Les Grecs n’étaient pas de solides soldats mais de bons marins et jouaient d’un avantage certain. Fort heureusement, les matelots du capitaine Antonio maniaient le sabre avec une dextérité exceptionnelle. Notre situation était pourtant des plus précaires. Si le second navire nous abordait par le flanc ouest, nous prenant en tenaille, nous serions submergés par le nombre. À l’instant où je prenais la décision de faire intervenir la magie, je reçus dans mes bras le jeune Thierry de Moroit, qui, piqué au flanc, avait reculé jusqu’à moi en se recroquevillant sur sa blessure. Son agresseur, un géant aux poils blonds et aux dents jaunies et vilaines, me lorgna d’un œil concupiscent tandis que je laissais le corps de Thierry glisser sur le pont.
    Il fondit sur moi à la vitesse d’un éclair et je vis que je devrais d’abord m’en débarrasser si je voulais agir. J’esquivai d’un bond sa lame, qui passa à quelques pouces de mon flanc. Il allait de nouveau se jeter sur moi lorsque son regard accrocha la pierre de lune qui pendait à mon cou au bout de sa chaînette d’or. Il eut un sourire intéressé et jeta son épée à terre. Un instant interdite par son attitude, je n’eus pas l’aplomb de mon esquive précédente et basculai sous le poids de son corps lourd qui m’avait plaquée en pleine poitrine. Un cri m’échappa en même temps que l’épée. J’eus beau me débattre et cogner son dos à grands coups de poing, je ne parvins pas à me dégager de son emprise. Il entreprit de se frayer un passage entre les belligérants, tandis que je gesticulais comme une diablesse en appelant à l’aide.
    Mes cris alertèrent Geoffroi de Rançon qui venait de se défaire non sans mal de deux Grecs malingres mais agiles. Il se rua sur le colosse. Je vis son épée pénétrer la cotte de cuir qui protégeait la carrure massive de l’homme et s’enfoncer jusqu’à la garde, à quelques centimètres seulement de mon visage. Le Grec râla de surprise et se retourna d’un bloc. Alors, d’un mouvement de reins, je me cambrai et échappai à sa poigne que la blessure rendait moins tenace. Bien m’en prit ! Je n’eus que le temps de me jeter sur le côté, pour n’être pas écrasée par le géant, qui s’affaissa en éructant un filet de sang.
    Déjà, Geoffroi de Rançon se tournait vers un nouvel agresseur. Je reculai contre le mât de vigie et d’un coup d’œil circulaire avisai que la partie était perdue. Le second vaisseau approchait très vite. Bientôt, il nous aborderait et nous serions à la merci de ces traîtres. Il n’était plus temps désormais de se demander si l’on n’allait pas me brûler sur un bûcher pour ma magie. Tout me semblait préférable à la mort de mes compagnons et, pire encore, à celle de Jaufré que je ne voyais plus.
    D’un bond, je me dressai et levai les bras au ciel, lançant dans l’air teinté de sang :
    – Que des ténèbres et du jour, des profondeurs de l’abîme et du temps s’éveille le dragon noir,

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