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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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sitôt notre arrivée et insista sur le fait que seule sa foi dictait ses actes. Aussi, lorsque le jeune roi de Jérusalem, soutenu par sa mère Mélisende, proposa d’assiéger Damas qui narguait depuis longtemps leur cité, Aliénor s’indigna. Pourquoi Damas et non Alep ou Édesse ? Louis la fit taire d’un ton sec et la renvoya dans sa chambre. Elle rengorgea ses larmes et s’en fut la tête basse. Elle brûlait de le souffleter, de lui cracher au visage, de s’enfuir loin de lui, mais elle n’avait plus le goût de rien. Il la faisait surveiller jusqu’en son sommeil, telle une prisonnière. Louis voulait montrer qu’il était le maître. Et Aliénor avait peur. Peur que ce conflit ne réduise à néant la raison même de cette croisade, unir autour d’un même but ses deux peuples. Elle se tut donc, et, au bout de quelques mois de préparation, les armées conjointes des Francs, des Allemands et des Hiérosolymitains se mirent en marche vers Damas.
    Mieux préparés à nous recevoir qu’on ne le pensait, les Damasquins ne firent qu’une bouchée de cette ardeur guerrière. L’armée de Conrad et du jeune Baudouin battit en retraite, nous laissant tenir un siège contre toute raison. Louis refusait de s’avouer vaincu ! Lors, d’assiégeants, nous nous retrouvâmes assiégés. Les Turcs rôdaient aux alentours, redoutables. Telles des ombres furtives, ils s’infiltraient partout, jusqu’en notre camp à la faveur de la nuit pour ravir des otages, sans qu’un seul guetteur les aperçoive.
    Au matin, souvent nous découvrions les traces de leur passage. Puis cela commençait : les hurlements des nôtres qu’ils avaient livrés aux Damasquins. On les torturait durant des heures sur les remparts de la ville. À en devenir fou d’impuissance. Enfin venait la délivrance, lorsque ces sadiques jetaient en riant les corps dépecés par-dessus les murailles. Louis avait beau brandir la croix, invoquer Dieu à s’en user les lèvres, pleurer des larmes de sang, rien n’y faisait. La victoire l’avait abandonné dans son entêtement à vouloir suivre son orgueil.
    Ce ne fut qu’au bout de deux semaines qu’il consentit enfin à admettre qu’il s’était fourvoyé. Nous levâmes un camp qui ne ressemblait plus qu’à un champ de ruines pour retourner, misérables vaincus, à Jérusalem.
    À peine arrivé, Louis s’effondra sur le tombeau du Christ. Mais, contrairement à ce qu’il avait cru, il n’y trouva pas la paix. Alors, dans un ultime geste de soumission, il exigea qu’on le flagelle en public, pour offrir son repentir à tous ceux qu’il avait égoïstement sacrifiés. Il nous fallut plusieurs semaines pour réapprendre à dormir sans tressauter au moindre bruit, sans hurler de terreur lorsqu’une ombre couvrait un mur blanc.
    Louis se terrait dans la basilique, pleurait au pied de la croix, criait, suppliait pour que reviennent la justice et la paix. À lui aussi il fallut du temps. Puis, un matin, il sembla réagir. Était-ce par vengeance ? Toujours est-il qu’il décida de renouer alliance avec l’ennemi de Raymond et du basileus Comnène : ce Roger de Sicile dont nous avions refusé l’hospitalité avant notre départ. Rentrer en France semblait peser à Louis, comme cette mission inachevée, comme le regard d’Aliénor qui ne se baissait plus devant le sien depuis que les événements leur avaient donné raison, à elle et à Raymond.
    Elle prenait désormais sa revanche, au point de braver sa surveillance pour se glisser dans la couche de Bernard de Ventadour, allant jusqu’à espérer que Louis l’apprenne et la chasse. Il n’en fit rien. Il continuait de succomber aux caresses de Béatrice, puisant en elles un peu d’espoir et de réconfort. Comment aurait-il pu critiquer l’infidélité de son épouse quand lui-même ne prétendait plus à la pureté ?
    Jaufré et moi étions heureux. Du moins voulais-je le croire. Il n’était plus le même depuis le siège de Damas. Son jeune et brillant disciple Peyronnet avait été enlevé par les Turcs, puis retrouvé violé et brisé à quelques pas du campement, étranglé par les cordes de sa mandore. J’ignorais pourquoi, mais Jaufré se sentait responsable.
    Il avait souvent l’air absent et douloureux, refusant de me répondre lorsque je m’inquiétais. J’avais fini par me dire que le temps guérirait cette blessure en son âme et son cœur. Durant les six mois que dura notre séjour à Jérusalem, je

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