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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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entières à imaginer ce corps sur sa couche, le sourire au lèvres et le regard brûlant d’amour pour elle. Car Hodierne aimait Jaufré de toute son âme. Elle avait entendu de lui tant d’éloges, parmi lesquels l’assurance qu’il marquait son temps par la profondeur de ses sentiments, qu’elle avait éprouvé le besoin de le voir pour s’assurer qu’il était bien tel qu’on le lui avait décrit, tel qu’elle l’avait aimé. Sa mère l’avait reprise plusieurs fois, prétendant qu’on ne pouvait ainsi adorer une personne que l’on ne connaissait pas, mais elle s’en moquait.
    Hodierne aimait la musique, et pas un seul troubadour n’avait su la troubler autant que ce qu’elle savait de Jaufré et de ses chansons. Oui, il était bien tel qu’elle l’avait imaginé. Il était mort en lui souriant, et son visage relâché gardait encore l’empreinte de ce sourire, comme s’il avait voulu lui transmettre l’amour qu’il avait pour elle. Car Hodierne en était convaincue, Jaufré l’aimait, malgré ce qu’avait prétendu le barde Taliessin qu’elle avait envoyé à Antioche. Et, quand bien même il en eût aimé une autre avant de la rencontrer, cela n’avait nulle importance ! Hodierne était belle au point que, chaque jour de par le monde, on se mourait d’amour pour elle, et lui, plus que tout autre, ne pouvait échapper à la règle. D’ailleurs, elle en tenait pour preuve le fait qu’il était venu à elle, malgré tout.
    Elle se mit à pleurer convulsivement. C’était trop injuste. Elle avait rêvé et son rêve était devenu cauchemar. Jaufré était mort dans ses bras alors qu’elle se préparait à lui donner sa propre vie.
    Depuis que son père était mort, elle avait écarté plusieurs prétendants au trône laissé vacant. Elle avait un frère bien trop jeune pour gouverner et sa mère se chargeait en son nom de régenter son fief. L’Église voyait d’un mauvais œil le fait qu’une femme seule tienne en main le destin d’une cité. Mais qu’était Tripoli ? À peine une poignée d’habitants regroupés dans l’enceinte fortifiée d’un château sur une falaise. Qui pouvait s’intéresser à ce royaume qui n’en était pas un ? Et puis la défense était assurée par une troupe de soldats fidèles qui savaient se battre. Hodierne n’était pas pressée de trouver un époux et avait décidé d’attendre le jour où Jaufré viendrait. Alors, elle serait à lui. Entièrement à lui.
    Sa mère était une femme forte, autoritaire, mais elle ne refusait rien à sa fille. Hodierne en jouait. Elle avait ainsi obtenu de veiller la dépouille du troubadour dans sa chambre pendant trois jours, avant qu’on le mette en terre. Dans la lumière tamisée de la pièce, simplement éclairée de cierges, régnait une odeur d’encens que venait troubler par moments un parfum de lys. Au-dehors, par la fine meurtrière qui laissait passer un peu de jour, la vie continuait.
    Hodierne s’éveilla d’un sommeil agité. Un regard par la meurtrière lui apprit qu’il faisait nuit. « Demain, se dit-elle en étirant ses membres endoloris, demain Jaufré de Blaye recevra sur son cercueil la première pelletée d’une terre qui lui est étrangère. » Elle se leva et fit quelques pas dans la pièce.
    Elle s’apprêtait à sonner une servante lorsqu’un gémissement la cloua sur place. Elle était seule avec le gisant, d’où ce bruit pouvait-il venir ? Ce devait être le vent dans la fente de la meurtrière. Elle tira sur le cordon et se retourna pour regagner sa place, lorsque son regard se posa sur le visage du troubadour. Un cri lui échappa. Ces yeux qu’elle avait elle-même clos étaient grands ouverts et la fixaient. Elle recula de terreur contre la porte, incapable à présent d’émettre le moindre son. Et, soudain, une plainte s’arracha des lèvres du défunt, tandis qu’une larme roulait sur sa joue.
    À cet instant, la porte s’ouvrit et Hodierne dut s’avancer vers le lit pour laisser entrer la servante. Celle-ci s’apprêtait à demander à sa maîtresse ce qu’elle voulait lorsque, attirée par l’expression de terreur inscrite sur son visage, elle constata elle aussi l’étrange phénomène. D’un geste prompt elle se signa et recula, livide.
    Mais déjà Hodierne s’était ressaisie et approchait du lit. Tremblante, elle souleva une des mains croisées, s’attendant à ne pouvoir la bouger tant elle serait raide et froide, mais celle-ci

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