Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
Vom Netzwerk:
troubadours. Elle raconte le miracle d’une femme qui serait restée dix jours en léthargie avant de se réveiller. Ne serait-ce point un cas similaire ?
    – Légende, princesse, enjolivée par un esprit romanesque.
    – Tu es un être rationnel, Houdar, le plus prodigieux apothicaire de cette terre. Un cas comme celui-ci est unique. L’examiner servirait à faire progresser la médecine.
    – Où voulez-vous en venir, princesse ? demanda le vieil homme soupçonneux.
    – Faisons des funérailles à cet homme pour que chacun pleure tout son soûl, de sorte que nul ne pourra jamais savoir la vérité. Avant qu’il soit mis en bière, nous transporterons son corps dans l’aile gauche du palais. Personne n’y vient plus. S’il guérit, alors nous aviserons. S’il meurt, nous l’enterrerons sobrement. Comme il aura déjà eu une messe, Dieu ne nous gardera pas rancune.
    – C’est vous, douce et fragile Hodierne, qui me demandez cela ? Vous voudriez enterrer un cercueil vide, au mépris de tous les sacrements divins ?
    – N’est-ce point péché plus grand, Houdar, d’enterrer les vivants ? Cela ne s’apparente-t-il point à un meurtre ? Je suis persuadée que ce sont mes prières et tout l’amour que je porte à cet homme qui ont permis ce miracle. Par tous les saints du Paradis, Houdar, laisse Dieu décider de sa destinée.
    Mais déjà la porte s’ouvrait et le père Virgile entrait, devançant un cercueil de bois, que quatre moines posèrent à terre. Hodierne regarda Houdar et Houdar regarda Hodierne. Au terme de cet affrontement qui dura tout le temps que le prêtre récitait sa litanie, tandis qu’on déposait Jaufré de Blaye dans son linceul, Houdar hocha la tête et Hodierne de Tripoli sut qu’elle avait gagné.
     
    Le 11 novembre 1149 vit notre retour au palais de la Cité. La vieille ville n’avait pas changé malgré ces deux années d’absence. Mais nous tous étions différents. Suger nous accueillit avec plaisir. Ses cheveux s’étaient encore clairsemés et de larges plaques brunes couvraient à présent son front et son crâne. Son regard n’avait cependant rien perdu de son intensité, et je le vis avec inquiétude se poser sur mon ventre. J’étais enceinte de cinq mois. Je me souvenais qu’Aliénor au même stade ne pouvait plus dissimuler ni sa poitrine ni la bosse proéminente qui saillait au-dessous de sa ceinture. Fort heureusement pour moi, je n’accusais qu’un léger embonpoint, et nous avions toutes pris quelques rondeurs en Sicile, puis tout au long de notre chemin vers Paris ; toutes et tous dirais-je, sauf Sybille, que nous avions confiée aux bons soins d’Héloïse au Paraclet, et Louis qui persistait dans un jeûne draconien. Lui aussi avait changé. Il n’était plus le moine effacé d’avant notre départ. C’était comme si le poids de Dieu avait fini par transpercer sa cuirasse et fait sourdre en lui l’âme du roi.
    Dès notre retour, il s’entretint longuement avec Suger des affaires du royaume, et l’on célébra la première messe dans l’abbatiale de Saint-Denis. De nombreuses finitions restaient encore à réaliser mais la nef était somptueuse et je fus interloquée de tant de majesté. Les voûtes en ogive ressemblaient à des mains tendues vers le ciel.
    Suger fit un long sermon sur la folie des hommes à vouloir posséder davantage, toujours. Cela pour rappeler que le temps de la guerre était révolu et qu’il fallait songer à reconstruire. Ensuite, il prononça une prière pour tous ceux que nous avions laissés en Terre sainte, et mon cœur s’émut pour Denys dont le souvenir était toujours présent et pour Jaufré dont je n’avais pas de nouvelles.
    Ce fut la dernière fois que nous évoquâmes les durs moments que nous avions traversés tant nous étions les uns et les autres pressés d’oublier.
     
    Bernard de Ventadour nous avait précédés à Paris et divertissait la petite Marie qui allait sur ses trois ans. Il s’effaça lorsque la reine parut, jugeant sans doute qu’à cet instant il n’avait pas sa place. L’enfant, qui ne se rappelait guère sa mère, se renfrogna lorsque Aliénor voulut la prendre dans ses bras, se cachant derrière les jupons de sa nourrice, mais, d’un tempérament affable, elle finit par se laisser apprivoiser et, quelques minutes plus tard, elle jouait sur les genoux de sa mère en riant aux éclats.
    Aliénor était heureuse de retrouver sa fille, et bien moins d’avoir à

Weitere Kostenlose Bücher