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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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des bras, et des mouchoirs. Au bout du quai, les vêtements moirés d’une longue silhouette accrochaient la lumière.
    Panperd’hu gémit :
    – C’est elle. Elle est venue, ami. Comme elle est belle !
    Mais Jaufré ne discernait qu’une forme floue baignée d’arcs-en-ciel. Il déglutit difficilement et parvint à assurer :
    – Oui, elle est belle.
    Mais son vieil ami ne l’écoutait pas. Il vibrait à la vue de la princesse et agitait sa main comme un enfant en sa direction. Lui-même n’avait-il pas vibré de cette joie sans pareille ? Puis il y eut le choc de la coque contre le ponton de bois, le mouvement de l’ancre jetée par-dessus bord et celui des cordages que les marins en équilibre sur le bastingage lançaient à terre. La dame de Tripoli était là, debout, superbe, attirant par sa seule présence tous les regards, et il était le seul à ne rien distinguer d’elle qu’une silhouette fluide à l’intérieur d’un brouillard qui s’épaississait à mesure que la pression augmentait près de son ancienne blessure, à la tempe droite.
    Panperd’hu lui prit le bras, et il se laissa entraîner, se forçant à sourire, vers la passerelle qu’on avait posée. Il lui semblait que chaque pas accentuait la douleur. Déjà, il était devant elle. Il entendit une voix chantante répondre à celle de Panperd’hu, mais il ne parvint pas à saisir le sens de leur propos. Il aperçut seulement cette main qu’elle lui tendait. Une main blanche au milieu du brouillard. Il la saisit dans un ultime effort. Puis de nouveau il y eut un abîme profond devant lui et une voix qui l’appelait doucement. Cette voix, il l’aurait reconnue entre mille, elle chantait un voluptueux chant d’amour. Alors il sourit et s’y laissa glisser.
     
    Panperd’hu redressa le corps inerte qui s’était écroulé devant la princesse. Hodierne avait hurlé d’effroi. Elle n’avait eu que le temps d’un mouvement de côté pour n’être pas entraînée dans la chute de Jaufré.
    – Seigneur Dieu, murmura-t-elle en s’agenouillant au côté du troubadour qui avait posé l’oreille contre la poitrine de son compagnon. Est-il… ?
    Mais déjà Panperd’hu relevait la tête, des larmes dans ses yeux noirs.
    – Mort, hélas, ma dame.
    Hodierne étouffa un nouveau cri derrière ses jolies mains baguées, puis un sanglot. Elle l’avait tant espéré, tant attendu. Elle chancela. Autour d’eux le silence s’était fait, troublé cependant par les questions des badauds. D’une voix brisée par l’émotion, Hodierne de Tripoli appela les gardes qui l’avaient escortée afin qu’ils dispersent les curieux. Mais point ne fut besoin d’utiliser la force. Voyant que les lanciers s’avançaient, chacun s’éloigna avec ses bagages ou son chargement, chuchotant pour commenter l’incident.
    – Qu’on l’emmène au palais, ordonna Hodierne.
    Quatre des hommes soulevèrent le corps de Jaufré et le portèrent par le chemin de cailloux qui serpentait à travers les orangers et les oliviers vers le palais de la cité.
    Dès le lendemain, Panperd’hu s’embarquait pour la France, laissant à Hodierne de Tripoli le soin de donner une sépulture à son cher ami. Bien que la princesse ait insisté longuement pour qu’il restât aux funérailles, il avait refusé. Il fallait plus de vingt-cinq jours pour atteindre Massilia et bien encore une quinzaine pour gagner Paris. Il était de son devoir d’annoncer la triste nouvelle, ne pouvant supporter l’idée qu’elle parvienne déformée ou avilie à la cour de France. Il savait mieux que tout autre de quel bois étaient faites les légendes, et déjà des ragots couraient à Tripoli, selon lesquels le troubadour serait mort d’amour dans les bras d’Hodierne. Avant longtemps, cette rumeur finirait en chanson pour devenir une vérité, comme tant d’autres avant elle. Non. Pour préserver intacte la mémoire de son ami, il ne pouvait tarder. Le cœur empli de douleur, il s’éloigna de Tripoli alors qu’octobre 1149 tirait son dernier jour.
     
    Hodierne ne pouvait détacher ses yeux de ces mains blanches et fines que l’on avait croisées sur la poitrine du troubadour sitôt qu’on l’avait ramené du port et étendu sur un lit de soie. Le prêtre qui l’avait baptisée avait insisté pour qu’on conduise le défunt directement dans la chapelle et qu’on le recouvre d’un linceul, mais elle s’y était fermement opposée. Elle avait passé des nuits

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