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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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un espoir fou :
    – Es-tu sûr qu’il est mort, Panperd’hu ?
    – Aussi sûr que tu portes son enfant, murmura mon ami entre deux sanglots.
    Je le fixai, surprise, incrédule. Ainsi Jaufré savait. Mais Panperd’hu secoua la tête, sa belle tête aux cheveux longs emmêlés par le vent.
    – Non, il ne savait pas. De même moi, je ne le savais pas, je l’ai senti bouger, s’excusa-t-il en se reprenant et se forçant à sourire.
    Alors seulement, je me mis à pleurer, à pleurer sur cet enfant qui ne connaîtrait pas son père, pas plus que je n’avais connu le mien, sur Panperd’hu qui avait bravé mille morts pour m’annoncer celle de Jaufré, sur tout cet amour qui m’emplissait et ne savait plus brusquement où s’épancher, sur ce bonheur entrevu, sur ma vie enfin qui n’avait été jusqu’alors qu’une succession d’erreurs et de malchances.
    Je pleurai autant que ces nuages d’en haut pouvaient pleurer sur le monde pour l’enfouir dans une boue noire et le faire disparaître.
     
    Aliénor était devenue attentive, douce, patiente. Elle aussi avait pleuré. Toute la cour avait pleuré son troubadour. Me voyant effondrée, la reine avait pris les choses en main. Elle contacta aussitôt Guilhem IV d’Angoulême, son vassal, mais néanmoins cousin et suzerain de Jaufré, afin que le frère du défunt, Gérard, prenne possession de son héritage. La réponse du comte d’Angoulême nous ébranla de nouveau : embarqué dans le sillage du comte de Toulouse pour rejoindre les croisés, Gérard Rudel avait été porté disparu en mer lors d’une tempête. Aliénor réagit sans attendre et exigea qu’un intendant soit nommé à Blaye, afin que le comté ne devienne pas la proie des seigneurs alentour.
    Quant à moi, je savais que je n’y retournerais pas, trop de souvenirs y étaient attachés, si intenses encore qu’ils me faisaient douter chaque instant de la mort de mon amant. Parfois, je le rêvais étendu sur des draps blancs ou au milieu d’un parterre de fleurs. Il paraissait dormir. Je l’appelais de toutes mes forces, mais il ne m’entendait pas. Je m’éveillais en sueur, les larmes aux yeux.
    Je devais me résigner, disait Aliénor, pour l’enfant. Ma fille. Sa fille. Notre fille ! Qu’adviendrait-il d’elle ? Louis ne pouvait me donner en mariage à quelque autre vassal dans mon état. Jamais un homme n’aurait conduit à l’autel une femme portant son gros ventre comme seule dot. J’allais devoir mettre cet enfant au monde, comme mère avant moi, dans un endroit sûr où personne ne saurait rien de son existence. La meilleure solution consistait à gagner la Normandie et à enfanter auprès de Mathilde, mais je ne pouvais me résoudre à quitter Aliénor au moment où j’avais le plus besoin de m’impliquer à fond dans la destruction de son mariage, ne serait-ce que pour oublier. Oublier combien il me manquait.
    Quelques semaines plus tard, il y eut ce message en provenance d’Angers qui me recommandait de faire diligence : le conflit entre Étienne de Blois, qui avait regagné l’Angleterre, et Mathilde était plus mordant que jamais. Profitant de l’absence prolongée d’Étienne en croisade, Geoffroi le Bel avait œuvré habilement et réussi à mettre en avant les qualités d’Henri au détriment de celles d’Étienne et du fils qu’il préparait à sa succession. De sorte que les relations de l’Anjou avec les barons et prélats anglais s’en trouvaient ragaillardies. Si ces derniers avaient haï Mathilde, ils éprouvaient une sorte d’affection pour le Plantagenêt, comme ils le nommaient, qui ressemblait à son grand-père, le défunt roi. Or, Louis soutenait désespérément Étienne de Blois. Avec sa dot, Aliénor devenait plus que jamais un enjeu politique.
     
    J’étais enceinte de six mois et Aliénor de quatre. Chez elle l’enfant était visible, puisqu’elle avait enflé d’une vingtaine de livres déjà, ce qui l’empâtait de toute part. En ce qui me concernait, je ne bougeais pas. J’avais même la sensation d’avoir maigri. Mes jambes ressemblaient à des piquets de barrière, comme lorsque j’étais petite, et l’on voyait mes salières poindre à travers ma peau à la naissance de la gorge. L’enfant me prenait tout. Le chagrin aussi. Aliénor m’enviait de pouvoir ne rien laisser paraître. Et pourtant elle était plus présente que jamais, fidèle et compréhensive.
    Au fil des ans, son amour exclusif pour moi

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