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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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s’était transformé, peut-être par le simple fait d’avoir rencontré elle aussi l’amour véritable et désintéressé d’un homme. Nous étions plus que jamais complices, plus que jamais proches, même s’il nous arrivait de moins en moins souvent de nous aimer. Notre vie aventureuse pendant ces deux années y avait sans doute été pour quelque chose. Nous n’avions eu que peu d’occasions d’être seules suffisamment longtemps pour satisfaire notre désir l’une de l’autre. Au fond, c’était mieux ainsi. Je n’aurais pu de toute manière supporter des mains sur mon corps. Aliénor disait que c’était à cause de ma grossesse, mais je n’y croyais pas vraiment. J’avais plutôt la sensation qu’avec Jaufré était mort mon désir de l’amour. Les seules caresses que j’acceptais étaient celles de mes doigts sur mon ventre lorsque je me déshabillais et que je regardais les mouvements de l’enfant creuser des plaines et darder des monts dans ma chair rose.
     
    Béatrice tournait et retournait une bague d’émeraude et de diamant autour de son annulaire. Ce gage de fiançailles du baron de Montmorency, qui lui venait de sa mère, était splendide, mais elle ne l’aimait pas davantage qu’elle n’aimait l’homme. Elle ne pouvait oublier Louis, se résoudre à ne plus l’approcher, le toucher. Certes, ils se retrouvaient souvent à l’église, mais Louis ne la regardait plus, il fixait désespérément la croix de bois sur laquelle un Christ ensanglanté défiait les hommes.
    Et pourtant il l’aimait, elle le savait. Ce n’était pas elle qu’il fuyait, mais lui-même. Le baron de Montmorency était bel homme et sans doute un bon amant si elle en jugeait d’après les commérages de celles qui prétendaient avoir approché sa couche. Il serait probablement aussi un bon mari, elle l’avait suffisamment croisé dans les couloirs pour l’avoir pu apprécier à sa juste valeur. Mais elle ne parvenait pas à se faire à l’idée que dans trois mois seulement elle serait son épousée. Bien sûr, aussitôt qu’elle deviendrait baronne de Montmorency, elle aurait davantage de pouvoir qu’elle n’en avait eu jusqu’alors. Oui, elle allait être plus que jamais présente, et Louis ne craindrait plus de la regarder. « Les hommes sont stupides, pensa-t-elle, ils s’imaginent qu’une femme mariée dérange moins leur âme qu’une prétendue vierge, parce qu’elle présente moins de risque de scandale une fois engrossée. » Cette idée lui répugna. Elle avait tellement rêvé de donner à Louis le fils qu’il attendait.
    Un instant, elle songea à entraîner la reine dans une course folle à travers les bois pour lui tendre un piège, la faire tomber et piétiner par son cheval, non pour qu’elle meure mais pour qu’elle perde son enfant. Mais elle se dit qu’Aliénor trouverait bien le moyen de le perdre sans aucune aide, comme elle avait déjà perdu tous les autres, à l’exception de Marie. Et puis au fond, ce n’était pas à Aliénor qu’elle en voulait. Celle qu’elle haïssait par-dessus tout, c’était moi. Elle ne cessait de se répéter que je l’avais bafouée, humiliée, brisée à plusieurs reprises, et finalement jetée dans les bras de Louis pour qu’il s’en repente et la repousse ensuite. Elle avait beau se consoler en songeant que Dieu m’avait punie en m’enlevant Denys puis Jau-fré, elle savait que, tant que je la tiendrais dans mes griffes, elle ne pourrait goûter véritablement au bonheur. J’étais une épine dans sa chair. Et que faisait-on d’une épine sinon l’enlever et la faire disparaître ?
     
    Nous étions fort occupées depuis l’annonce des épousailles de Béatrice. Toutes les dames de compagnie de la reine, les anciennes qui étaient revenues à nos côtés de Terre sainte et les nouvelles, fraîches comme des boutons de rose, pour la plupart à peine âgées d’une douzaine d’années, toutes nous étions occupées à filer, à carder, à tisser, à teindre, à broder le trousseau étincelant que la reine voulait lui offrir en présent. De sorte qu’on l’avait gentiment bannie de nos réunions d’après-midi et qu’elle ne nous rejoignait que lorsque nous changions d’ouvrage. Elle semblait heureuse de ces épousailles. Pourtant, Aliénor comme moi savions que ce mariage n’était qu’un leurre. L’essentiel étant pour tout le monde qu’elle se tienne tranquille. Et, de fait, elle se montrait charmante et

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