Le lit d'Aliénor
Henri de se rendre à Paris.
« Celui-ci, disait-il, est rougeâtre et couvert de pustules gonflées qui ne présagent rien de bon. Il souffle bruyamment de la poitrine et sa fièvre ne descend pas quoi qu’on lui administre. En outre, il est d’un caractère exécrable, supporte mal la médication et refuse d’avaler les bouillons d’herbes. Il gémit sans cesse et exige pour repas quelque cuissot de chevreuil ou de sanglier, qu’il n’avale que par petites bouchées tant il est vite rassasié du fait de la maladie. S’il n’était aussi mauvais malade, sans doute guérirait-il plus vite, mais il chasse à coups de jurons son confesseur dès qu’il pointe son nez dans la chambre. Comment voulez-vous, Sire, que Dieu lui accorde quelque clémence dans pareille condition ? Fort heureusement il est de composition robuste et devrait se remettre avant qu’il soit long. Puisse le ciel, dès lors, lui pardonner ses offenses. Au regard de l’Eglise et de Votre Majesté. »
Cette missive divertit fort Louis et suffit à apaiser momentanément sa rancœur. Il envoya aussitôt un courrier par lequel il souhaitait un prompt rétablissement à son vassal :
« Afin, ajoutait-il, que le ressentiment de Dieu ne se double pas de celui de son roi et que, dans Sa divine clémence, il permette à celui qui l’avait bafoué de venir au plus tôt courber à la fois le front et la mauvaise tête. »
Autant dire que, loin d’apaiser la colère et le courroux d’Henri, cela ne servit qu’à accroître son panel de jurons, qu’il avait déjà conséquent !
13
L’accalmie fut de courte durée. Quelques jours plus tard, des nouvelles désagréables parvinrent à la cour de France. Cela faisait maintenant trois années que Geoffroi le Bel était en conflit avec le sénéchal de Louis en Poitou, un nommé Giraud Berlai, petit homme sombre et sec qui portait un œil borgne et un nez de fouine. Je l’avais rencontré à plusieurs reprises sans parvenir à l’apprécier. Pourtant, il avait la confiance de Louis. Pendant la croisade, pour une raison que j’ignorais, Geoffroi le Bel avait capturé Giraud Berlai, s’attirant les foudres de l’Église, selon cette loi qui interdisait à tout vassal de s’élever contre l’autorité de son suzerain en son absence. L’affaire s’était soldée par une menace d’excommunication et la libération du sénéchal. Depuis, les relations entre les deux hommes étaient pour le moins tendues. Lassé d’être défié par Berlai qui le narguait à l’envi à l’abri des puissantes fortifications de son château de Montreuil-Bellay, Geoffroi le Bel venait de passer à l’offensive. Mon intuition me dit aussitôt que ce dernier avait mal digéré l’offense que lui avait faite Louis lors des fêtes de la Pentecôte en mettant sa parole en doute. Le comte d’Anjou était orgueilleux. Atteindre Louis au travers de son sénéchal était une vengeance habile, mais qui ne servait en rien le consensus de paix que nous avions entamé.
– Il a mené l’attaque contre une poutre de soutènement du donjon, à grand renfort de traits chauffés au rouge ! grogna Louis, rouge de colère, en frappant du poing sur la table. Ce diable d’Angoumois a incendié la ville et fait encercler toutes les issues. De sorte qu’il n’a eu qu’à cueillir Giraud et les siens comme de vulgaires rats apeurés ! Je suis las de ces suborneurs, las de ces mesquineries, las de ces guerres ! Il est temps pour ces morveux, père et fils, de mordre la poussière et de s’humilier devant leur roi. Sans quoi, par saint Denis, je jure qu’ils seront passés par l’épée de Dieu !
– Que comptez-vous faire ? demanda Aliénor, craignant soudain pour son vassal.
– À l’heure qu’il est, mes troupes doivent approcher d’Arques en Normandie. Elles raseront, brûleront, dépèceront tout jusqu’à ce qu’il n’y ait plus que ruine, mais feront plier bas à ces rustres. D’ailleurs, je pars superviser en personne les opérations, soutenu par le pape qui vient de prononcer l’excommunication contre ces parjures et mécréants. Étienne de Blois m’a fait savoir que son fils, Eustache, traverse en ce moment même la Manche avec de fortes garnisons d’hommes pour se joindre aux miennes. Trop heureux de m’aider à le débarrasser de son ennemi ! Avant la fin de ce mois, c’en sera fini !
Aliénor sortit de la salle où se tenait le conseil, le cœur battant la chamade. Elle
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