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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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rompre. À chaque pas, une peur irraisonnée gagnait en ampleur, tant que je dus me retenir de courir en sens inverse pour me réfugier dans l’ombre. Sans s’en apercevoir, il m’entraîna d’un pas léger à l’écart des yeux et des oreilles indiscrètes, là où les seringas pleuraient de fines fleurs blanches à l’odeur entêtante. Alors il se planta en face de moi.
    – Vous tremblez, douce amie. Me croirez-vous si je vous affirme être plus tremblant encore ? Voilà une année déjà que je vous ai fait cette confidence. Mon affection pour vous n’a cessé de croître, Loanna. Vous avouerai-je bien follement que le seul souvenir de ce baiser échangé me hante comme une brûlure ? Mon deuil a pris fin et avec lui cette attente. Un seul mot de vous me rendra le plus heureux ou le plus malheureux des hommes.
    Mais, pour toute réponse, j’éclatai en sanglots.
    Alors il me prit dans ses bras, comme cette autre nuit, alors que je fêtais la mort de Béatrice. Cela me semblait si loin et si proche à la fois. Ce soir-là j’avais cru pouvoir, j’avais cru savoir. Aujourd’hui, je n’étais plus rien qu’un navire sans port, ballotté par des tempêtes intérieures plus violentes les unes que les autres, dont chacune me laissait plus meurtrie, abîmée et vulnérable.
    – Allons, ma douce… murmura-t-il à mon oreille pour me calmer.
    Mais ces seuls mots m’arquèrent en avant telle une proue de navire dans un océan déchaîné. Je m’écartai de lui, livide.
    – Ne m’appelez jamais comme ça, ordonnai-je d’une voix que je reconnus à peine.
    Ce fut à son tour de blêmir. Il me contempla quelques instants douloureusement, puis poussa un profond soupir et se laissa tomber sur un petit banc de pierre.
    – Il y a des deuils que ni le temps ni les conventions n’effacent jamais, n’est-ce pas ? demanda-t-il simplement.
    Une nouvelle vague de larmes monta jusqu’à mes paupières, tandis que difficilement je hochais la tête.
    – Je comprends. Qu’allez-vous devenir, Loanna de Grimwald ? Prendrez-vous le voile comme cette pauvre Héloïse ? Ou finirez-vous par vous résoudre à quelque poison ?
    Il n’était même pas cynique. J’aurais sans doute préféré. J’aurais ainsi pu le haïr. Or je ne parvenais pas seulement à bouger. J’étais brisée.
    – Venez vous asseoir, vous êtes livide, et je crains que le moindre souffle de vent ne vous emporte.
    Je lui obéis. Il glissa son bras autour de mes épaules.
    Puis, doucement, comme on le ferait à une enfant, il me parla :
    – Vous êtes fragile, Loanna. Denys de Châtellerault avait raison et Jaufré de Blaye aussi. Plus précieuse et fine qu’un fil de soie. J’ai promis de veiller sur vous, et voilà que j’ai l’impression de vous mener à votre perte par cette sécurité même que je vous offre. Que dois-je faire ? J’ai appris à vous aimer bien après vous avoir respectée. Faudra-t-il que je vous prouve combien ces mots ont valeur en moi ? Je ne suis qu’un seigneur de petite envergure, il est vrai, téméraire et belliqueux et parfois rageur. Mais devant vous je ne suis rien. Je ferai selon vos désirs, vous le savez, mais je ne pourrai accepter de vous laisser vous enfoncer dans cette folie qui vous guette. Jaufré de Blaye est mort, Loanna, et personne, hélas, n’y peut rien changer. Quoi que vous fassiez dès lors n’est qu’un moyen d’essayer de vivre malgré tout. Je respecterai votre choix, mais ne vous condamnez pas, je vous le demande, non pas comme le prétendant, mais comme l’ami en lequel Denys a jadis placé sa confiance.
    Il avait raison. Mille fois raison. Il me fallut puiser loin, très loin à l’intérieur de moi, rassembler tout ce qui me restait de volonté chancelante pour oser sortir un mot. Je voulais qu’il comprenne. Avec difficulté, j’articulai d’une voix hachée :
    – Faire l’amour m’est devenu impensable, Geoffroi…
    Avec cela j’expliquais tout, me semblait-il. La souffrance, le manque de lui, la déchirure et le renoncement. Il le sentit sans doute, car il soupira, mais se tourna vers moi.
    – Est-ce la seule raison qui vous fasse repousser ma proposition ?
    Je hochai la tête sans parvenir à soutenir son regard. Alors, il eut un geste d’une infinie bonté dont ma vie durant je me souviendrai. Il prit délicatement mes mains dans les siennes et murmura à son tour :
    – Regardez-moi, Loanna. Regardez-moi.
    Je levai les yeux vers lui et je ne

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