Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
Vom Netzwerk:
Jaufré m’avait quittée.
    Lorsque mon orage apaisa ses roulements, sa voix paternelle chuchota dans mon oreille :
    – Si vous êtes Loanna de Grimwald, aussi vraie que vos larmes et votre douleur, alors je détiens pour vous la paix de Dieu.
    Il me repoussa et sortit de sa besace un parchemin roulé. Je le fixai sans comprendre.
    – A mon tour de vous raconter une triste histoire, ma fille. Celle d’un homme que je croisai par hasard en Sicile. Jamais de ma vie je n’avais vu plus grande souffrance que celle de cet être brisé. Il ne parlait pas, mais je pus le comprendre par le langage des signes que j’avais appris dans ma jeunesse. Le comprendre et l’aimer comme un frère, tant sa quête était grande. Voyez-vous, mon enfant, j’ai toujours pensé que l’amour que l’on portait à Dieu était de loin plus sublime et pur que celui que l’on voue aux élans terrestres. Grâce à cet homme, je compris que je me trompais. Car, comme moi qui n’avais d’autre raison de vivre que l’amour de Dieu, lui n’avait que l’amour d’une femme. J’étais triste pour lui, car je l’avoue, je n’ai toujours eu que peu de considération pour les femmes qui souvent sont vénales, futiles et bien peu fidèles. Lorsqu’il me demanda de se joindre à nous, j’acceptai. Tout comme nous acceptâmes de faire halte ici, à Poitiers, lorsqu’il apprit qu’elle s’y trouvait. Tenez, mon enfant. Il ne tient qu’à vous désormais de me réconcilier avec la gent féminine.
    Je tremblais en saisissant le parchemin. J’avais bu ses paroles en retenant mon souffle, en refusant de croire ce qu’il insinuait. Je fis sauter le cachet de cire :
     
    « À Loanna de Grimwald,
    « Ma vie,
    « Mon âme,
    « Ma déchirure,
    « Si ces lignes te viennent aux yeux, alors c’est qu’en toute conscience ton cœur est toujours mien, car je refuse de croire que mon nouvel ami m’aura trahi au point de livrer mon secret à une étrangère. Ces lignes, je les ai écrites cent fois et cent fois détruites, pourtant, combien il m’est difficile aujourd’hui de te demander pardon !
    « Mort, je le suis depuis si longtemps que j’en oublie même avoir été vivant un jour. Mort, je le suis de n’être plus rien. Celui que tu as aperçu hier dans ces jardins, qui pleurait sous sa capuche de te voir si belle et triste, est si différent, si cruellement différent, que je n’ose croire encore que tu aies eu envie de t’approcher de lui. Alors que la légende du troubadour tombé dans les bras d’une princesse s’envolait jusqu’à toi, alors même qu’on bénissait mes funérailles, une femme, une autre, s’acharnait dans le plus grand secret à me rendre la vie. Contre tous. Elle m’a tiré du néant comme une seconde mère avec patience et amour.
    « Mais, lorsque j’eus pris conscience du déchet que j’étais devenu, je n’ai pas eu le courage de t’imposer le carcan de mon infirmité. J’ai voulu t’oublier, Loanna, comme j’étais certain que tu m’avais oublié, comme il aurait fallu que cela soit. Mais je n’ai pu. Dans quelques semaines, tu seras mariée et qu’ai-je à t’offrir au regard de cet autre ? Rien, rien. Plus même ma terre, puisque je suis mort.
    « Je ne viens pas te demander de sacrifier ta vie. Je ne te mérite plus. Mais ce que dame nature n’a pas voulu, par pitié et par amour achève-le. Bannis-moi, Loanna, détruis-moi. Mon reflet m’est trop difficile au regard de ta beauté. Je dois mourir vraiment pour que tu puisses vivre. Mais, sans ce mot de toi qui me condamne, je ne puis en finir. Délivre-nous. Je t’en supplie.
    « Jaufré. »
     
    Je pleurais toujours, mais ce n’étaient plus les mêmes larmes. Jaufré était vivant. Il m’avait fallu voir la signature pour en être vraiment sûre. Je n’étais pas folle, je ne l’avais jamais été. Ce n’était pas mon intuition qui m’avait trahie, mais moi qui avais trahi mon intuition.
    – Où est-il ?
    Le moine secoua la tête.
    – Je l’ignore, mon enfant. Il m’a simplement demandé de vous remettre ce message si j’estimais que vous étiez digne de sa confiance.
    – Il est vivant, mon père. Je refuse de le perdre une seconde fois, comprenez-vous ? Peu m’importe qu’il n’ait plus rien à m’offrir. Je ne souhaite rien d’autre que son amour.
    – Il m’a simplement dit en partant : « Il n’y a qu’un seul endroit où je sois vraiment chez moi. » Ai-je bien compris ? Il est

Weitere Kostenlose Bücher