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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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bredouilla l’enfant en s’accrochant à mes jupons.
    Depuis la veille, nous abritions au palais ducal un groupe de moines pèlerins qui s’en retournait de Compostelle vers le nord et avait demandé asile. Aliénor leur avait offert l’hospitalité avec chaleur et mis à leur disposition des chambres dans le gigantesque palais. Ce matin donc, après s’être rendus à l’office, ils prenaient le frais dans les jardins, devisant à voix basse, capuchons affaissés sur leurs épaules maigres. Pourtant, ce n’étaient pas ceux-là qui effrayaient l’enfant. C’était un autre à l’allure penchée et au visage généreusement ombré par sa capuche. Il se tenait à l’écart du groupe. Assis sur un banc contre un mur couvert de lierre, il paraissait vieux, ratatiné et misérable.
    – A peur Alix, a peur ! répéta l’enfant en tentant désespérément de me tirer vers un autre endroit.
    Elle avait, la veille, perdu là son petit collier d’ambre qu’Aliénor lui avait offert pour son anniversaire et tout naturellement m’avait demandé de l’aider à le chercher. La marraine que j’étais ne pouvait lui refuser quoi que ce soit. Mais voilà que je ne parvenais pas à détacher mon regard de cet être qui l’effrayait, clouée sur place par une sensation étrange. Je n’aurais su dire ce qui me retenait, peut-être de la pitié ; quoi qu’il en soit, au lieu de m’écarter, je l’enlevai du sol pour la blottir dans mes bras.
    – Tu ne dois pas avoir peur, Alix, ce n’est qu’un vieillard fatigué. Viens !
    D’un pas décidé, je me dirigeai vers la silhouette. Alors que j’étais à quelques mètres seulement de lui, la petite tête d’Alix blottie dans mon cou pour cacher ses yeux, une voix m’interpella. Je me retournai et vis un autre moine qui s’approchait de moi. Courtoisement, j’arrêtai donc mon pas pour l’attendre. Il avait le teint hâlé et un accent fort que je ne situai pas :
    – Gente damoiselle, vous voici bien chargée.
    – En effet, mon père, répondis-je aimablement.
    – Est-ce votre enfant ?
    Celle de notre reine. Allons, Alix, montre ton museau, on ne va pas te manger.
    – Veux pas ! A peur ! s’obstina la jouvencelle.
    – Qu’est-ce donc qui t’effraie, jolie caille ?
    – Votre compagnon sur ce banc, répondis-je à sa place. Aussi voulais-je l’entretenir un instant pour qu’Alix puisse se rendre à l’évidence qu’il n’avait rien d’inquiétant.
    – Hélas, damoiselle, je crains que ce ne soit possible, répondit l’homme en souriant tristement. Notre ami est muet et, s’il garde ainsi sa capuche, c’est qu’un rictus disgracieux ajoute encore à son visage la laideur de son corps.
    Une immense tristesse m’envahit à ses mots sans que je susse pourquoi.
    – Vous feriez mieux d’éloigner l’enfant, continuait le moine en lui caressant les cheveux. Croyez-moi, il est des êtres pour lesquels même le regard de Dieu est une injure.
    – Je ne crains pas l’infirmité. Il est des blessures bien plus profondes et douloureuses que la beauté et la jeunesse cachent adroitement.
    – Je sais, mon enfant. Mais celle-ci est bien jeune encore pour le comprendre.
    – Vous avez raison. Cependant, la charité n’a pas d’âge.
    – En la montrant, vous blesseriez bien davantage l’homme fier qu’il n’a cessé d’être. Je vous en prie, laissez-le en paix.
    – Comme il vous plaira, mon père.
    J’obéis. Non sans jeter un dernier regard vers l’homme qui n’avait pas seulement fait un geste.
     
    Je n’avais cessé de penser à cet incident, d’autant qu’à plusieurs reprises, il m’avait semblé apercevoir cette forme voûtée et claudicante près des endroits où j’errais. Aussi, lorsque Aliénor m’annonça le soir même que le groupe repartait dans la matinée suivante, je me sentis soulagée et triste à la fois. Cette nuit-là, Jaufré hanta mes rêves sans répit ; il se tenait là, debout, à quelques mètres de moi, et, lorsque je tendais la main vers lui, il n’y avait plus à sa place qu’un man-tel vide.
    Un jour brumeux me cueillit désespérée et épuisée d’avoir lutté en vain contre des ombres.
    À la sortie de l’office, je regardai passer le groupe des moines pèlerins appuyés sur leurs bâtons, cherchant malgré moi celui qui m’intriguait.
    – Attendez-vous Sa Majesté la reine ? s’inquiéta une voix typée dans mon dos.
    Je me retournai pour me trouver face au moine avec

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