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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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d’installer mes pigeons dans un colombier désaffecté à l’aplomb de ma fenêtre. Ceux-ci, laissés en liberté, venaient ainsi se nourrir des graines et des miettes que je déposais sur le rebord. Mes messagers volants me rapportaient fréquemment des nouvelles d’Henri et de mère, et je pouvais à loisir échanger mes impressions avec cette dernière. Comme elle me l’avait conseillé en partant, j’évitais d’utiliser la magie à Bordeaux, quelqu’un risquant à tout instant de me surprendre en transe et de compromettre ma mission.
    Après le départ de Guillaume, cette sensation glaciale ne cessa de me tourmenter. Consciente du danger que représenterait pour les plans de Mathilde la mort du duc, je ne mesurais pas ses conséquences. Je résolus d’en avertir mère, mais ma colombe ne revint pas.
    Depuis quelques jours, un épervier tournait autour du château que les fauconniers ne parvenaient pas à attraper. Je l’avais vu fondre sur de petits moineaux mais n’osais penser qu’il s’attaquerait à proie plus grosse. Le doute persista, je ne savais que faire.
    Je n’eus cependant pas besoin d’envoyer une nouvelle colombe, la nouvelle nous parvint sous la forme d’un messager, dépêché par le roi de France. Avant même l’arrivée des compagnons du duc, il vint s’entretenir avec Aliénor et Geoffroi du Lauroux.
    L’un et l’autre reçurent l’abbé Suger dans la chapelle, ainsi qu’il en émit le souhait. Mes compagnes, imaginant que la nouvelle était d’importance, s’étaient agglutinées en chuchotant dans le corridor voûté qui cerclait le bâtiment et ouvrait ses arcades sur le jardin intérieur.
    Pour ma part, je demeurai à l’écart. Cet homme sec et froid ne me plaisait pas. Dès l’instant où il posa pied à terre, je pressentis qu’il deviendrait mon ennemi. Peut-être à cause de cette croix somptueuse resplendissante de rubis qui pendait par une lourde chaîne d’or sur son mantel. J’avais toujours exécré ces prélats trop riches qui priaient pour la miséricorde d’un peuple mourant de faim, entre deux bouchées de mets surabondants dont un seul eût suffi pour nourrir une famille.
    Quelques très longues minutes plus tard, Aliénor écarta les portes de la chapelle, et le silence se fit. Son sourire s’était éteint et son regard avait cette brillance métallique des rages sourdes que l’on ressasse pour ne pas pleurer. Elle était ainsi, s’abandonnant aux larmes pour attendrir, mais interdisant à sa fierté de s’oublier là où d’autres pourraient utiliser sa véritable faiblesse. Elle n’était pas une victime.
    Elle semblait pour l’heure ne voir personne et, d’une voix monocorde que je reconnus à peine, elle annonça :
    – Le duc d’Aquitaine, mon père, n’est plus.
    Puis, marchant tel un pantin, elle passa devant nos révérences recueillies et s’en fut dans sa chambre annoncer à Pernelle la sombre nouvelle.
    En me relevant, je croisai le regard froid de Suger, et un frisson me parcourut. Le duc n’était pas défunt d’une mort naturelle, telle fut à l’instant ma certitude. Je baissai les yeux et me dirigeai vers le pigeonnier. Épervier ou pas, Mathilde devait savoir.
    Aliénor prit en main toutes les formalités d’usage, exigeant de recevoir elle-même, sans compter sa peine et son temps, les condoléances de ses vassaux et amis, refusant le soutien de ses compagnes, rejetant d’un geste las les paroles d’encouragement des troubadours, qui se retirèrent pour chanter la nouvelle en d’autres lieux. Appelé par les affaires de son comté, Jaufré avait regagné Blaye peu de temps après le départ du duc en pèlerinage. Pourtant, avide de ma présence, il nous rendait visite fréquemment, séjournant au palais de l’Ombrière deux ou trois jours par semaine.
    En ces heures douloureuses, sa chaleur me manquait. Je me sentais plus solitaire que jamais, portant tout le poids du chagrin d’Aliénor. J’étais la seule à le partager, lorsque les chandelles mouchées dissimulaient ses larmes aux regards. Lors, je les recueillais sur mon épaule, m’étonnant du courage dont elle faisait preuve.
    « Tutelle du roi de France », avait dit Suger. Deux termes qui mettaient un frein à nos projets pour Henri, car ce dernier, trop jeune pour gouverner, pris dans la bataille de sa mère pour le trône d’Angleterre, ne pouvait en aucune façon revendiquer sa promise. Ce que le roi de France ferait du duché

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