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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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le chemin.

5
     
     
    – Les Pyrénées, enfin !
    La voix sortit le groupe de son mutisme. Devant eux, les sommets enneigés se dessinaient avec majesté, comme un défi aux courbes que leurs pieds et leurs mollets avaient franchies depuis trois semaines. Les pèlerins se regardèrent et échangèrent un sourire confiant. La passe dans la montagne, au col de Roncevaux, était surnommée « la révélatrice ». Certains n’allaient pas au-delà, malgré leur foi, épuisés par la fatigue et le jeûne. Pour les autres, ceux qui passaient le col et pénétraient en Espagne, la route devenait légère, les douleurs moins pernicieuses, la corne sous la plante des pieds, que les semelles de cuir ne protégeaient plus, rendait le sol moins caillouteux, moins tranchant. La béatitude s’emparait des âmes, un sentiment infini d’humilité les amenait à rendre grâces au Seigneur de cette souffrance nécessaire.
    Ce jourd’hui, 9 avril 1137, Guillaume d’Aquitaine regardait cette barrière avec inquiétude. Ces derniers temps, sa santé légendaire lui faisait défaut. Il souffrait de violentes migraines et des spasmes lui tordaient l’estomac, lui faisant parfois rendre quelques filets de sang. Il supposait que la mangeaille, saine mais inaccoutumée, lui pesait. Le pain de seigle et le gruau dont il se nourrissait lui laissaient dans l’arrière-bouche un goût âcre dont il ne se débarrassait plus. Il avait maigri durant le voyage et se sentait affaibli.
    « Sans doute, pensait-il, ai-je attrapé quelque maladie destinée à purger mon corps de ses humeurs malignes, de ses impuretés. »
    Et, malgré la souffrance qui creusait des cernes violacés sous ses yeux, il en tirait une certaine jouissance, celle de penser que son périple n’était pas vain et qu’il entrait en état de grâce. Ses proches, cependant, se montraient moins optimistes. Guillaume était d’ordinaire un être solide, fort comme un bœuf, capable d’engloutir à lui seul un quartier de mouton en un repas, et l’aspect cireux que prenaient ses traits n’augurait rien de bon.
    Pourtant, confiant, il continuait son chemin lorsqu’ils lui conseillaient de rester à l’étape. Le jeune baron tourangeau avec qui il s’était lié d’amitié et qui fraternellement servait chacun en eau et gruau l’avait d’ailleurs rassuré quant à cet excès de fatigue. Lui-même avait franchi une première fois la passe à la limite de l’agonie, mais il en était revenu transfiguré et repartait avec plus d’enthousiasme encore. N’était-ce point un signe du destin ?
    – Votre gruau, messire.
    Avec un sourire enjôleur, Anselme de Corcheville tendit l’écuelle de terre cuite à Guillaume.
    « La dernière », songea-t-il, avec l’impression d’entendre tinter dans ses poches les écus d’or promis.
    Guillaume s’en saisit maladroitement. L’espace d’une seconde, l’idée lui prit de jeter cette nourriture infecte à terre, mais la voix susurra :
    – Il vous faut manger, compère. Vous ne pouvez franchir « la révélatrice » sans forces. Demain, j’en suis convaincu, ces humeurs vous quitteront. Courage !
    – Je me sens si mal, Anselme, que je me demande si la prudence ne serait pas de m’arrêter à la prochaine étape, murmura Guillaume, avec une moue de dégoût pour la pâtée qu’il écrasa entre ses doigts violacés, sans se décider à la porter en bouche.
    – Rangez-vous à notre sagesse, Guillaume, vous n’avez que trop tardé, répondit le baron d’Angoulême, qu’un pressentiment rendait nerveux.
    Il n’appréciait pas ce jeune baron de Corcheville. Outre la vilaine cicatrice qui fendait en deux un visage de fouine, depuis l’arcade sourcilière gauche jusqu’à la commissure droite des lèvres fines, quelque chose dans son attitude mielleuse sonnait faux. Même s’il prétendait tenir cette marque d’un félon qui avait tenté de s’emparer de ses terres, le baron d’Angoulême n’était pas loin de penser que le contraire eût été plus vraisemblable, et que l’homme était un rusé coquin. Son engouement pour le comte s’était avéré trop soudain. Pourtant il ne pouvait accuser sans preuve, d’autant moins que Guillaume semblait fasciné par son nouvel ami.
    Anselme examina Guillaume d’un regard compatissant, prit un air résolu et navré, puis consentit dans un soupir :
    – Je crois qu’il faut se rendre à l’évidence, vos amis ont raison et sans doute avais-je tort. Mon

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