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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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d’Aquitaine, je ne l’imaginais que trop, malgré ma fragile expérience des raisons d’Etat. Que pouvais-je y faire ? Mes pouvoirs n’admettaient pas d’user de la sorcellerie et de sa panoplie de poisons. Ma conscience refusait ce jeu de mort qui était le leur. Plus que jamais, je guettais des nouvelles de mère.
    La nuit qui suivit la messe en mémoire du défunt duc, je ne pus trouver le sommeil. Aliénor était apparue, tenant Pernelle par la main, dans la cathédrale Saint-André où les attendaient Geoffroi du Lauroux, l’abbé Suger et une foule silencieuse en deuil. Son visage était fier et noble, et, à son contact protecteur, sa cadette paraissait plus forte malgré ses yeux rougis. Suger avait entrepris les louanges de l’homme pour les vassaux assemblés, marquant d’un sceau monastique la vie d’exemple et de souffrance de Guillaume. Puis vint ce que je redoutais. Il nomma les barons qui l’avaient accompagné au long de son périple, et ceux-ci vinrent s’aligner devant la duchesse, répétant d’une même voix les dernières volontés de leur ami, et leur serment devant sa dépouille.
    Un murmure passa dans l’assistance. Je vis les épaules d’Aliénor se voûter lorsque Suger, s’avançant vers elle, mit un genou à terre et déclara à l’intention de tous :
    – Que votre père soit béni, mon enfant, de vous donner en héritage le trône de France en espérant vos épousailles avec Louis le Jeune, auxquelles le roi donne sa bénédiction !
    Puis, se relevant, il ajouta en ouvrant ses bras dans un geste de communion :
    – Recueillons-nous, mes frères, devant l’amour de cet homme pour sa terre et ses enfants.
    Tout était dit, magistralement orchestré. Légitimé par le témoignage et consenti par la foule rassurée sur son devenir. Car, en effet, quel honneur plus grand pouvait recevoir mon amie ?
    Un frisson de rage me parcourut. Fini l’heureux temps de l’insouciance à laisser se dérouler le destin. Suger était un homme redoutable, il tirait les ficelles du pouvoir et servait des intérêts opposés à ceux de Mathilde et d’Henri. Il aurait fallu être stupide pour ne pas s’en rendre compte. J’allais devoir user désormais de ruse autant que d’intuition pour intriguer à la cour de France.
    Aliénor s’était retirée dans sa chambre pour prier dès la cérémonie achevée… Je ne l’avais pas revue depuis.
    Je frissonnais. Ne parvenant à échapper à ma colère et à une angoissante pression, je me glissai au-dehors dans une nuit sans lune. Les parfums des seringas se mêlaient à ceux des roses et des lilas, entêtant l’obscurité alourdie par l’orage proche.
    Je descendis jusqu’au colombier sous ma fenêtre. Un petit sentier serpentait à travers les broussailles pour rejoindre cet endroit étroit qui n’intéressait plus personne parce qu’à l’écart des jardins luxuriants. Ma colombe n’était toujours pas rentrée ; sans doute ces événements avaient-ils amené mère et Mathilde à revoir leurs plans. Je m’assis un instant sur un banc de pierre oublié. Au pied de la coursive, l’eau clapotait doucement. Une atmosphère malsaine planait sur le palais de l’Ombrière ; j’en sentais la menace autour de moi comme une vapeur indistincte, imprécise, mais qui entourait les lieux, les choses et les gens. Peut-être n’était-ce dû qu’à l’orage ? Peut-être était-ce ma propre peur de l’inconnu ?
    Un bruit dans les broussailles me fit tressaillir. Je voulus pencher pour quelque animal, mais mon rythme cardiaque s’accéléra, m’indiquant qu’une présence humaine en était l’origine. Une ombre s’avançait en effet, me barrant toute retraite. Je n’osais bouger, prête à me défendre contre l’imprévisible, lorsque le parfum de lys qui se dégageait d’elle apaisa mes craintes. Au même moment, la lune complice apparut, dévoilée par une trouée dans les nuages. Le regard du troubadour s’éclaira d’un pâle rayon.
    – Jaufré, vous rendez-vous compte que vous auriez pu me faire mourir de terreur pour la seconde fois ?
    Il s’approcha et me prit la main pour la porter à ses lèvres.
    – Pardonnez-moi. Je ne pensais pas vous surprendre ici.
    – Qui donc espériez-vous ?
    – Une muse peut-être, qui se serait enfuie trop vite, ou simplement un rai de lumière à vos fenêtres pour que quelque chanson vous atteigne. Je vous ai vue dans la cathédrale songeuse et distante, au point que vous ne

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