Le lit d'Aliénor

têtes, asservit le peuple, le sanctifie par le feu d’une croisade et se frotte les mains sur ses richesses qu’elle qualifie de spirituelles. L’Angleterre était jusqu’à ce jour protégée par les druides. Nous défendons une connaissance et une équité qui font ombrage à ce Dieu dont l’Église a besoin pour servir ses intérêts.
    – On ne peut se rendre maître du monde !
    – L’esprit est faible. Lorsque le peuple a faim, il lui est facile de croire. Aliénor va épouser Louis. Nous n’y pouvons rien changer. Cela nous sert d’une certaine manière. Elle apprendra davantage à devenir une reine sur le trône de France que dans l’ombre d’un couvent. Ce mariage ne durera pas.
    – Comment pouvez-vous en être aussi sûre ?
    – Allons, Canillette ! Merlin ne t’a donc rien enseigné à Brocéliande ? Tu vas suivre Aliénor et conseiller habilement ses caprices et manigances. Laissons-la grandir. Méfie-toi seulement de Suger. Cet homme est capable du meilleur autant que du pire. Il est l’ami de Bertrand de Blanquefort, le grand maître du Temple qui a œuvré pour le rattachement de l’Aquitaine au royaume de France. Ainsi Suger pourrait conseiller à Aliénor d’abandonner au profit du Temple une grande part de ses biens pour le salut de son âme. Tu dois empêcher cela. Cette milice du Christ est dangereuse. Elle est bien loin de l’idéal de pureté et de pauvreté du Fils de Dieu. Elle conduira ses chevaliers à commettre d’immondes crimes. La mort de Guillaume est un de leurs faits, commandé par Etienne de Blois qui les a couverts de largesses. Prends garde à toi !
    – Et Jaufré, mère ?
    – Suis ton cœur, tant qu’il ne fait pas obstacle à ta mission. Nous ne sommes pas comme les autres, Loanna. Lorsque Aliénor sera l’épouse d’Henri, alors tu décideras de ta vie de femme, s’il accepte de partager ton destin. Mais dis-toi que ce ne sera pas facile et qu’alors peut-être, il aura peur de ce que tu es vraiment. Ton père me manque souvent ; pourtant, j’ai respecté son choix, autant que son amour.
    – Quel était-il, mère ? Jamais vous ne m’en avez parlé.
    – Le moment n’était pas venu. Cette révélation t’aurait sans doute empêchée d’agir ainsi que tu l’as fait.
    Elle souriait, mais ses yeux semblaient tristes de tout ce qu’elle n’avait pu vivre, et mon cœur se serra.
    – Guillaume de Poitiers dit le troubadour était ton père et le grand-père paternel d’Aliénor. Elle et toi êtes du même sang. Voilà pourquoi je sais que rien, tu entends, rien ne changera la marche de votre destin.
    – Mathilde savait, n’est-ce pas ?
    – Oui. Ton père était un bel homme, fier, trop sans doute. Il aimait les femmes, et je m’y suis attachée, malgré ses cheveux grisonnants. J’étais pucelle alors, mais je n’ai rien regretté. C’était un de ces feux passionnés qui dévastent et ne laissent ensuite que des cendres. Il n’a jamais su que je portais son enfant ; d’ailleurs, cela n’aurait rien changé. Le duc n’était pas l’homme d’une seule femme. Après que je fus sortie de sa vie, il fit enfermer son épouse dans l’abbaye de Fontevrault pour s’afficher avec la Maubergeonne, une autre de ses maîtresses.
    – Pourtant, il vous aimait ?
    – À sa façon… Mais tout cela est bien loin ! Il ne faut pas s’y attarder. Les souvenirs doivent rester ce qu’ils sont. Sois simplement assurée que je t’accompagne, que je comprends et approuve tes choix. Etre la descendante de Merlin n’empêche en rien de devenir une femme. Bien plus, nous nous devons d’avoir des héritières. Même si tu es la dernière à accomplir cette tâche, notre race ne doit pas se perdre.
    Je rougis malgré moi. Jamais auparavant je n’avais abordé ce sujet avec elle. Ces réponses me rassuraient et, en même temps, une angoisse me saisit. J’hésitai un instant, sachant qu’elle pouvait lire mes pensées, mais elle n’en parla pas. J’osai donc :
    – Et pour Aliénor, mère ? Ce sentiment contre nature qui m’attire en sa couche. Notre lien de parenté si direct. Est-ce mal ?
    – Le bien, le mal sont des notions qui varient selon l’interprétation que l’on en fait. Il est normal que tu éprouves tendresse et amour pour elle, normal aussi que ton corps cherche la caresse. Laisse-toi guider par ton instinct, mais que jamais il ne devienne ton maître. Sache où bat ton cœur et pourquoi tu agis. Tu as