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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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venait à se produire avant leur retour. Il ne se sentait pas prêt, trop jeune, trop inexpérimenté. Suger avait tenté de le rassurer pourtant :
    – N’ayez crainte. Les affaires d’État sont question de bon sens et de justice. Avec l’aide de Dieu et les conseils de vos aînés, vous gouvernerez avec équité.
    Suger ! Heureusement, sa fidélité préservait le royaume ! Louis le Gros lui avait accordé sa confiance et jamais il n’avait eu à s’en plaindre.
    Il soupira. Ces gens sous ses fenêtres étaient bien différents de ceux qu’il écoutait vivre au cœur de Paris. Ils paraissaient tellement excessifs. Son épouse aurait-elle plaisir à partager ses journées de recueillement et de vertu ? Elle était si fraîche, si volubile, si délicieusement femme, alors qu’il ignorait tout d’elle.
    « Au fond, pensa-t-il, sa lumière éclairera un peu la grisaille de nos murs. Le destin eût pu la choisir laide et éteinte, et m’enchaîner à bien pire ! »
     
    Le mariage fut sobre malgré la foule imposante qui se massait aux abords de la cathédrale. Fidèle à mon serment, je n’eus d’yeux que pour Aliénor, tant elle était majestueuse et belle, effaçant par sa seule présence celle de son triste époux qui, malgré ses habits de brocart et d’or, ressemblait davantage à un moine qu’à un futur roi.
    La cérémonie terminée, tous deux s’avancèrent d’un même pas vers le palais de l’Ombrière, sous les cris de joie et les souhaits de bonheur, de prospérité et de longue vie. La ville croulait sous les guirlandes de fleurs, tandis que, foulées par le lent cheminement du cortège, les jonchées de pétales de rose répandaient dans la chaleur étouffante de juillet leur lourd parfum. Et, l’espace d’un instant, je m’imaginai, une main posée sur la mienne, marchant au milieu des sous-bois de Brocéliande vers l’autel de pierre, baigné de la musique cristalline des plis de la tunique de Merlin. Le regard gris de Jaufré vint me poignarder le cœur, et un grand vide m’envahit.
    Je l’aperçus plus tard, lors du gigantesque banquet qui fit suite à la cérémonie. Les invités étaient près d’un millier, sans compter le peuple qui avait installé tables et couvertures dans les basses-cours du château et aux alentours pour partager les victuailles distribuées au tout-venant.
    Dans l’immense salle de réception, pages et écuyers s’activaient à trancher les viandes, à servir les vins de Bourg et de Blaye, les médocs aux parfums de myrtille et de chêne, dans une ambiance de musique et de fête. Car Aliénor n’avait pas oublié de convier jongleurs, danseurs, acrobates, cracheurs de feu, montreurs d’ours, de chevaux ou de chiens, et ses troubadours. Jaufré était parmi eux, accompagné de son comparse Marcabru, qu’on surnommait « Panperd’hu » et qui vouait une passion sans pareille à la duchesse.
    Entrecoupant les plus célèbres gestes comme « La chanson de Gérard de Roussillon » ou « La belle aventure de Tristan et Iseult », leurs chansons vantaient les mérites et la beauté de leur muse, et la grandeur de son mariage. Jaufré rendit hommage à Guillaume le troubadour en interprétant quelques-uns de ses poèmes. Mon cœur s’emballa en l’écoutant, illuminant quelques étoiles de pluie dans mes yeux.
    Mon voisin de droite, petit baron bien fait mais étonnamment prétentieux, les attribua au plaisir de sa brillante compagnie, ce à quoi je répondis d’une voix tranchante que certains avaient l’art d’attirer la convoitise et d’autres d’inciter à la solitude. J’ignore s’il voulut comprendre, mais il se montra moins imbu de sa personne pendant le reste du repas, réussissant même à plusieurs reprises à me faire rire.
    Quelques heures plus tard, le vin avait fait son effet sur les convives, réduisant les distances entre ceux du Nord et ceux du Sud. Louis lui-même semblait moins prisonnier de ses coutumes et échangeait avec verve des propos plus légers. Le charme de l’Aquitaine avait opéré sur les cœurs ainsi que sur le mien lors de mon arrivée. La journée fut radieuse. Aliénor riait à gorge déployée, et je cherchais du regard celui qui, après m’avoir nourri de fougueuses œillades, s’était éclipsé de mon entourage, me laissant languir de son absence.
    Vers la fin de la journée, j’eus besoin de m’isoler. Les vapeurs de l’alcool me serraient les tempes, bien que je n’eusse goûté ses

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