Le lit d'Aliénor
compris le besoin qu’avait ton amie de cette complicité, il est un lien véritable qui guidera ses décisions et l’aidera sans aucun doute dans les moments difficiles. Quoi que tu fasses, ton être t’appartient et tu es seule juge, au regard de tes actes, tant, encore une fois, qu’ils n’entravent pas ce pour quoi tu es sur cette terre.
– Merci, mère. Si vous saviez combien votre sagesse m’a fait défaut.
– Je ne serai pas toujours là, Canillette. Tu dois apprendre à avoir confiance en toi.
Elle posa délicatement sa main sur ma joue, et j’en pus percevoir toute la tendresse. J’aurais voulu que cela ne finisse pas, elle non plus sans doute, mais déjà son image se dissipait. Je murmurai encore :
– Reviendrez-vous ?
– Chaque fois que cela sera nécessaire, je serai là, et à tout instant mes pensées te suivront.
– Mère…
– Je sais, Canillette, moi aussi je t’aime.
Je fermai les yeux pour retenir quelques larmes. Lorsque je les rouvris, j’étais seule. Je secouai ma tristesse comme un oiseau s’ébroue, les plumes gorgées de rosée, et, forte de ses paroles, je m’apprêtai pour rejoindre Aliénor.
Je la trouvai ruminant une rage évidente dans le petit boudoir qui jouxtait sa chambre. Elle marchait de long en large en chemise de nuit, et se dirigea vers moi avec une telle colère dans le regard que je crus un instant être l’objet de son courroux. Mais elle ne me laissa pas longtemps dans le doute. Elle explosa à quelques mètres de moi :
– Un puceau clérical ! Tu entends ! Un puceau clérical ! Voilà ce que l’on veut que j’épouse ! Me faire cela ! A moi !
Et aussitôt un torrent de larmes vint la secouer tout entière et la projeter contre mon épaule. Ainsi donc c’était cela ! Trop prisonnière de ces derniers jours, Aliénor n’avait pas pris pleinement conscience de ce qui l’attendait. Sa nuit de prière et de recueillement semblait lui avoir rendu sa férocité avec sa lucidité. Je l’entraînai vers la chauffeuse qui habillait l’alcôve dans le renfoncement de la fenêtre.
– Allons, tout cela ne vaut pas que tu te mettes dans un état pareil, je te l’assure.
– Plutôt mourir qu’épouser ce falot !
– Là, calme-toi, tu vas devenir reine de France, ce n’est pas si mal.
– Reine de rien du tout ! Mon futur époux passe son temps entre les versets de la Bible et le crucifix, dans un endroit triste, sans soleil, sans musique ; le couvent me semblerait plus doux.
– Regarde-moi !
Je relevai son visage d’orage et déposai avec douceur un baiser sur ses lèvres, puis enchaînai d’une voix câline :
– S’il passe son temps à l’église, tu gouverneras à sa place ; s’il ne peut aimer que son Dieu, tu prendras des amants, l’amour n’a point de maître, tu le sais bien.
Je ponctuai ma litanie de baisers sur ses joues, léchant avec lenteur l’eau de ses yeux. Elle gémit, féline. Je glissai avec impertinence une main sur ses seins, que je sentis durcir sous mes caresses, et la renversai sur le velours. Pour la première fois, je ne me posai aucune question. Mère avait répondu à toutes, libérant à la fois mon esprit et mon corps de leurs doutes. De plus, le souvenir de mon désir avorté de la veille avait aiguisé mes sens, et je pris un plaisir souverain à fouiller son ventre de mes doigts avides et à la voir se cabrer de bonheur et de reconnaissance.
Lorsque je la quittai un long moment plus tard, elle dormait, un sourire léger aux lèvres, dans un froissement de velours, de lin et de soie.
Aliénor virevoltait devant son miroir, arquant avec délice son corps de gazelle pour mieux juger du port et du tombé de sa robe de noces.
– As-tu remarqué comme il m’a détaillée ? Il est déjà éperdument épris, j’en suis sûre !
Le chagrin, d’il y a trois mois à peine, avait laissé place à une jubilation grandissante, et, en ce dimanche 25 juillet 1137, Aliénor savourait les préparatifs de son mariage. Il est vrai que Louis avait été séduit au premier regard, oubliant dans la beauté de sa promise ses résolutions de prêtre. Elle avait réussi avec sa science du comportement humain à échanger avec lui quelques tournures d’esprit qui l’avaient surprise. Un peu frêle, pâlot et tristounet, Louis n’était pas sot. Il était lettré autant qu’elle pouvait l’espérer. Même si sa culture sentait l’encens, ils trouveraient au moins sur ce
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