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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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Je m’étais présentée devant elle en toute solennité, réclamant comme n’importe quel autre de ses vassaux une audience privée. Surprise par ma requête pour le moins inaccoutumée, elle consentit à me recevoir, supposant sans doute que quelque sujet primordial méritait tant d’artifice.
    Sous son air hautain, je la devinais tremblante. Elle jouait avec moi un jeu qui était loin malgré tout de la satisfaire. Je lui manquais. Je m’en servis. Me drapant derrière ces nouvelles conventions entre nous, je mis un genou à terre devant elle, puis, le plus sérieusement du monde, lui annonçai l’objet de mon « tourment ».
    – Vous m’avez fait l’honneur autrefois de me confier certaine échappée nocturne au monastère de Belin, en compagnie, si je me souviens bien, de votre oncle, ainsi que les conséquences qui en découlèrent…
    – Où veux-tu en venir ?
    Le ton était agacé, autant par mon discours que par sa forme protocolaire :
    – J’en veux venir au fait qu’ayant fait appel alors au service d’une sorcière pour faire disparaître de votre ventre le fruit de cet amour illicite, vous vous trouvez sans doute aujourd’hui dans l’impossibilité de procréer de nouveau.
    Elle blanchit, prête à défaillir. Je me relevai, et la soutins jusqu’à un fauteuil. Elle tremblait, livide, et me regardait telle une naufragée. J’insistai :
    – Une future reine se doit de donner des héritiers au trône. Que fera Louis, selon vous, lorsqu’il s’apercevra au terme de longs mois d’attente que son épouse ne porte pas sa descendance ?
    – Oh ! Loanna, que vais-je faire ? Je n’avais pas songé à pareille situation, je…
    Elle éclata en sanglots, et ceux-ci étaient sincères. La tension qu’elle avait maintenue entre nous l’avait affaiblie. Je berçai avec tendresse son corps voûté, accablé par la détresse.
    – Allons, ma duchesse, ne pleure pas. Crois bien que je ne t’aurais pas mise en tourment si je n’avais la solution à cette question.
    Elle releva son visage de rivière, une lueur de confiance dans le regard :
    – Tu… ?
    J’extirpai de mon sein une fiole que j’avais attachée par un cordon de soie à mon cou.
    – Trois gouttes seulement après chacun de tes hymens avec Louis. Pas davantage.
    – Et tu es certaine que…
    – C’est ce que m’a affirmé la sorcière que j’ai vue et à qui j’ai confié le secret d’une certaine dame.
    – Comment l’as-tu connue ?
    – Tout est possible à qui le souhaite. Que ne ferais-je pour toi ?
    – Tu m’aimes donc toujours ?
    – En doutais-tu vraiment ?
    Je glissai ma bouche sur la sienne et la rassurai d’un baiser.
    – Je serai près de toi à chaque instant, ne l’oublie jamais.
    Elle hocha la tête. Je passai à son cou la cordelette et dissimulai d’un doigt sensuel la fiole dans sa gorge frémissante.
    – Ce soir, oui… Je viendrai.

7
     
     
    Jaufré n’avait pas menti.
    Certes, j’avais eu l’occasion de descendre l’estuaire pour atteindre Bordeaux, mais je le voyais ce jourd’hui avec un regard nouveau. Peut-être était-ce tout ce que m’en avait confié mon troubadour, peut-être aussi m’étais-je suffisamment attachée à cette terre pour mieux en découvrir les recoins les plus secrets. Peu importait, au fond. Nous abordâmes à Blaye au soleil couchant, alors que l’eau brassée par la marée s’embrasait dans ses remous et rejoignait le ciel. Les îles en face se découpaient telles des montagnes d’ombre, et l’on distinguait dans une ondée de coquelicot et d’ambre l’horizon du Médoc.
    Sur la butte, Blaye semblait nous appeler avec ses guirlandes de fleurs aux balustres et ses mains qui s’agitaient pour nous faire signe. Ici aussi, chacun guettait l’apparition de la future reine. Le château se devinait en haut de la falaise, à gauche de la ville, mais, pour le voir, il fallait longer l’estey plus amont.
    Notre bateau s’ancra dans le fleuve en face de l’embouchure de la rivière qu’on appelait joliment « le Saugeron ». Jaufré nous attendait sur le ponton, vêtu non plus comme un modeste troubadour, mais comme le seigneur des lieux, avec un habit et des chausses de velours ainsi qu’un mantel bordé d’orfroi qui le faisait ressembler à un if. Ses longs cheveux clairsemés retenus par un lien de soie balayaient de quelques mèches rebelles ses joues creuses. Je fus subjuguée par cette vision tant Jaufré était

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