Le lit d'Aliénor
m’en enduisit généreusement de la tête aux pieds. Elle dénoua mes cheveux et les brossa, puis je la congédiai. Camille était habile, généreuse et discrète. Je sentais qu’elle m’appréciait sincèrement autant que je l’appréciais, et cette complicité m’était fort agréable. Lorsque je fus seule, je froissai le vêtement étalé sur le lit, me refusant à le passer tant la nuit était chaude. Je m’accoudai à la fenêtre dont le vantail tendu de papier huilé était largement ouvert pour laisser entrer la brise marine, après avoir mouché les chandelles dont je n’avais nul besoin. La nuit était belle, chargée de mille parfums, et le souvenir d’une autre semblable me revint en mémoire. Ma tendresse émue revit une petite tête hurlante dans les bras de dame Mathilde.
J’entendis à peine la porte s’entrouvrir, bercée par les bruits nocturnes. Mais je devinai sa présence dans l’ombre et son parfum de lys à quelques pas derrière moi. Je n’osai bouger, délicieusement troublée par l’impudeur que ma nudité lui offrait. La lune dessinait mon corps en contre-jour, et le regard de Jaufré me brûla autant qu’une étreinte. Ici il était le maître, et je n’avais d’autre désir que d’être une servante soumise à ses caprices.
Lorsque instinctivement mes reins se cambrèrent, il s’approcha et moula son ventre à leur courbe. Il me redressa lentement contre son corps, emprisonnant mes seins durcis dans ses paumes. J’en frémis de plaisir. Il me caressa longuement, me laissant à peine le temps de reprendre un souffle que je ne contrôlais plus, épuisant ma chair d’un plaisir à fleur de peau. Puis la douleur vint, foudroyante au creux de mes reins, écartelant mes cuisses offertes sous la poussée de son sexe gonflé. Elle ne dura pas pourtant, se perdit dans un cri, puis, me faisant prisonnière de son va-et-vient incessant, m’immola tout entière à sa jouissance, tandis que tressautait contre mon cœur fou la pierre de lune sertie de lumière.
J’appris de son corps toutes mes audaces et, lorsque le coq chanta sous ma fenêtre, j’étais épuisée de plaisir et de tendresse. Nous nous endormîmes dans les bras l’un de l’autre jusqu’à prime, ivres de bonheur.
Je m’éveillai au parfum d’une rose posée avec délicatesse sur l’oreiller de plumes. J’étais seule. Le souvenir de ses mains sur mes courbes me grisa, accentuant d’un coup le manque de lui. Je me levai et appelai Camille. Elle m’habilla, un sourire coquin au coin des lèvres, sans toutefois oser la moindre remarque. Je me doutais bien que le bruit de ma nuit agitée avait dû parvenir jusqu’à sa couche, aussi me contentai-je d’un clin d’œil complice dans le miroir.
– Repose-toi pendant mon absence, lui suggérai-je lorsqu’elle eut achevé de me parer.
Sur ce, je descendis l’escalier de bois vers les cuisines où une odeur de poulardes rôties chatouillait mon appétit.
Jaufré, me dit-on, était occupé à régler une méchante affaire entre deux paysans. J’hésitai un instant à troubler sa justice, mais optai finalement pour les jardins du château qui s’alanguissaient jusqu’au bord de la falaise surplombant l’estey. Bercée par le reflux d’une marée brune, je m’enivrais de l’attendre, l’esprit frémissant au souvenir de cette nuit. Lorsque son pas accrocha les gravillons du sentier, je sus que, quoi qu’il advienne, je lui appartenais toute.
Il embrassa ma chevelure et murmura seulement :
– Viens.
Quelques instants plus tard, montée sur Granoë, je suivais sa silhouette gracile qui m’entraînait vers les palus, au pas tranquille de son palefroi. Encore une fois, je fus éblouie par la diversité des paysages qui constituaient sa terre. Cet endroit était extrêmement différent de ceux que j’avais visités la veille. Ici, point de vigne ou de culture de céréales. Seule la brande poussait. Des centaines d’oiseaux dont je n’avais même pas idée peuplaient l’endroit, de même que des rats et des chats sauvages, du gibier d’eau, des hérons, sans parler des anguilles au creux de la vase dont Jaufré m’assura qu’elles étaient un mets de choix. Jamais je n’avais vu autant d’animaux à la fois, qui se soulevaient sous les sabots des chevaux ou s’échappaient dans les herbes hautes.
Nous rencontrâmes des petites gens qui ramassaient du bois, ou relevaient des collets affectés au braconnage. Jaufré faisait mine
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