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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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accords, une voix retentit dans le silence, qui, d’un même élan, nous fit tourner la tête :
    – Bonsoir, père.
    Le jeune homme qui se tenait droit derrière nous, et qu’envoûtés par la mélodie nous n’avions point entendu arriver, avait fière allure avec son pourpoint de cuir et sa chevelure claire bouclée. Il avait le même front, les mêmes yeux rieurs que le vicomte, et je m’étonnai soudain qu’il fût là. Mon hôte ne m’avait-il point affirmé que ses deux fils étaient dans le sillage d’Aliénor ? Le vicomte se leva comme le jouvenceau s’avançait en saluant à la ronde, et le rejoignit pour l’embrasser avec empressement, le serrant dans ses bras.
    – Denys ! lança-t-il avec bonheur. Quelle joie, mon fils !
    De nouveau je tressaillis. Je n’avais pas entendu ce prénom dans l’éloge que le vicomte m’avait fait de ses enfants. Pourquoi ne m’avait-il pas parlé de celui-ci, et que signifiait ce regard douloureux de Loriane, qui fuyait cette étreinte ? Quel secret cachait donc cet inconnu, d’une beauté qui dépassait tout ce que j’avais pu rencontrer jusqu’alors ? Tant que, malgré toutes ces interrogations, je ne parvenais pas à me détourner de son visage aux traits fins et réguliers, à la bouche gourmande. Mais déjà le vicomte se tournait vers moi, prenant son fils par les épaules, et s’avançait pour me le présenter. L’impression qu’il faisait sur moi devait se lire sur mon visage, car le damoiseau sourit à fendre l’âme.
    – Damoiselle de Grimwald, laissez-moi vous présenter Denys, mon fils.
    – Si j’avais su découvrir au logis aussi délicieuse apparition, nul doute, père, que je me serais hâté davantage encore, lança-t-il d’une voix enjôleuse en déposant sur ma main un baiser léger comme une caresse.
    Je me sentis rosir. Son regard insista sur les lacets de mon corsage tandis qu’il se redressait déjà et s’avançait vers Loriane pour la saluer d’un respectueux :
    – Bonsoir, mère.
    Mais, comme précédemment, Loriane détourna la tête et je crus percevoir dans les yeux du vicomte un voile de tristesse. Denys sembla ne rien remarquer et embrassa précautionneusement la joue de l’aïeule qui s’était assoupie contre la muraille, la bouche ouverte.
    Le vicomte se réinstalla sur son siège et lança joyeusement :
    – Allons, mon garçon, assieds-toi et conte-nous d’où tu reviens !
    Denys s’assit, souple et félin, sur le tapis, et Thierrey, qui le regardait avec de grands yeux admiratifs, se détacha des jambes de sa mère pour venir se blottir contre celles de l’arrivant. Machinalement, Denys froissa la tignasse brune sous ses doigts. Le bambin soupira d’aise. Loriane avait en apparence retrouvé son sourire, mais ses longues mains blanches qu’elle tenait l’une dans l’autre tremblaient par intermittence. Déjà la voix chaleureuse de Denys captait l’attention :
    – Notre jeune roi est un homme juste, père. Lorsqu’il a appris que les Orléanais s’étaient constitués en commune, il eût pu noyer ses féaux dans une mare de sang ! D’autant qu’il était fort fâché qu’ils lui fissent pareille insurrection à quelques semaines de son mariage et quelques jours seulement après la mort de feu notre roi Louis. Pourtant, il a maté ces rebelles par le verbe, il a même accepté d’écouter leurs revendications en soulignant qu’il les étudierait et veillerait à ce que justice soit rendue équitablement dans son royaume. Il a ajouté ensuite qu’il était le roi et entendait à ce titre unir ses féaux autour d’un même idéal : la paix de Dieu. « Car, a-t-il affirmé, c’est par lui que je règne et grâce à lui que j’entends. De sorte que sa justice sera mienne et que quiconque la bravera sera puni par elle comme par moi. »
    – As-tu vu tes frères ? demanda le vicomte, l’air content.
    – Non point, hélas. Notre bon roi a jugé plus prudent de faire partir sa jeune épousée en avant afin qu’elle n’ait pas à subir les désagréments d’une révolte aussi brutale qu’injustifiée. Lionel et Benoît avec ceux du Sud lui ont donc servi d’escorte jusqu’à l’île de la Cité, où la reine mère Adélaïde devait l’accueillir. Je les ai manqués de peu et ne me suis point attardé, car je savais que vous attendiez les teintures que l’on m’avait envoyé acheter. De plus, mon chargement eût pu attirer l’œil de quelque malandrin. La guède se

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