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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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eau. Ni ce vin, ni ce pain, ni ces roses. Je t’aime Loanna.
    – Comment as-tu su ? parvins-je à bredouiller, éperdue de tendresse et de gratitude.
    – Je ne sais rien. Je t’appartiens. Lorsque j’étais enfant, dans cette même pièce, je restais souvent au milieu des servantes qui préparaient tourtes et tartes, soupes et entremets, et je trempais mes doigts dans les pots de crèmes, savourant chaque odeur ; ou parfois, je m’installais sur cette pierre dans l’âtre, là où le feu venait lécher mes chausses, et je les écoutais se raconter leurs soucis quotidiens. Elles faisaient peu attention à moi, prisonnières de leurs besognes qu’elles accomplissaient toutefois sans rechigner, avec fidélité et honnêteté, tant il était vrai qu’au service de mon père elles étaient bien nourries et logées. Mais j’entendais leurs préoccupations, et ce qui se racontait dans le village sur la condition des serfs et des manants. Cela me distrayait, parfois me chagrinait. A certains moments, l’une d’elles me découvrait, alors elles faisaient silence, me donnaient un bout de gâteau et, le plus affectueusement du monde, me mettaient à la porte. Il ne fallait pas se plaindre devant le fils du seigneur. J’ai souffert d’être séparé de cet endroit quand les ducs d’Aquitaine s’emparèrent de Blaye et détruisirent pour obtenir ce lieu une partie de ma petite enfance. Cette pièce, pourtant, je la retrouvai intacte, au terme de longues années de solitude à chercher à reprendre mon bien. Ce jourd’hui, j’en ai fait un pays où chacun puise dans la terre matière à nourrir sa famille. Les vilains n’ont plus peur de s’adresser directement à moi lorsque je me rends auprès d’eux, et je suis fier de recevoir leurs revendications, malheureux de ne pouvoir les satisfaire toutes, mais serein de tenter de leur venir en aide malgré tout. C’est ici, dans cette pièce, que je me sens le mieux. Les seigneurs ne sont les maîtres que dans leurs châtellenies. Ailleurs, ils ne sont rien. J’ai voulu ici n’être qu’un troubadour, apte à gérer ses domaines certes, mais aussi modeste que ses gens au fond du cœur. Je n’ai de fortune que cette terre, mais elle est déjà tienne tant tu lui ressembles.
    – Que pourrais-je répondre, Jaufré ? Tout ici me parle un langage dont je sens la chaleur et la force. Et cependant tant de choses nous séparent, que tu ignores et qui me retiennent prisonnière d’un autre destin.
    Il haussa les épaules d’un mouvement las, sans toutefois se départir de son sourire.
    – Le temps n’est pas venu, simplement. J’ai confiance. Allons, mangeons, puis je t’emmène par-delà les chemins visiter mes terres.
    Visiter ses terres !
    Il avait dit cela le plus naturellement du monde, alors que chacun des lieux m’enchanta. Nous parcourûmes les sentiers qui conduisaient jusqu’à la châtellenie de Bourg, passant par des villages charmants du nom de Sainte-Luce, Plassac, Gauriac. Tous bordaient l’estey, auquel ils étaient rattachés par un petit appontement où des barques attendaient la marée, enlisées dans leurs îlots de vase. Des champs de céréales glissaient jusqu’aux bords, et, sur les coteaux les plus ensoleillés, des vignes portaient un raisin d’un grenat somptueux qu’entouraient des nuées d’abeilles. Jaufré m’expliqua que les vendanges seraient hâtives cette année, probablement début septembre tant la chaleur était lourde, sans être orageuse. Il me montra les fûts dans lesquels le vin attendait d’être bu, les pressoirs à leviers et à vis dont on se servait pour extraire le jus, et il me raconta avec bonheur les étapes successives de la vinification.
    Les petites gens nous accueillaient avec de grands sourires, faisaient révérence mais ne s’y attardaient pas, tant la gentillesse de leur seigneur se reconnaissait partout. Je pus à loisir vérifier à quel point il était aimé.
    Nous regagnâmes Blaye, alors que le soleil déclinait ses derniers hommages au fleuve. Là, Jaufré me reconduisit cérémonieusement devant ma porte et, sur un baiser léger du bout des lèvres, me quitta sans un mot. J’avais appris à cultiver l’attente à son contact, et ne demandai rien cette fois.
     
    Je m’alanguis à ma toilette, savourant de laisser couler sur ma peau l’eau de rose que l’on avait renouvelée dans la bassine. Découvrant les senteurs subtiles des onguents préparés à mon intention, Camille

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