Le lit d'Aliénor
vin et de miel. Je quittai la chambre du roi sans que l’on me vît et regagnai mes appartements pour dormir à mon tour du sommeil du juste. Louis était sauvé.
Cette fois, malgré la crainte qu’inspirait le pape, les cloches de toutes les chapelles du royaume carillonnèrent, se répondant de village en village jusqu’à midi.
Louis avait ouvert les yeux sur le visage mâché de Bernard penché au-dessus du sien et, détournant son nez délicat, avait murmuré :
– Éloignez-vous, par tous les saints du paradis, vous empestez le vin.
Bernard avait manqué tomber à la renverse, appelant de tous côtés ses confrères. On avait redressé Louis contre un oreiller, il avait repris des couleurs et réclamait à manger et à boire. Aliénor et Béatrice avaient pleuré dans les bras l’une de l’autre, épuisées par l’espoir et la prière. Suger s’était attendri de cette scène, s’imaginant que Dieu avait choisi et qu’il allait entrer de nouveau en état de grâce à la cour de France.
De fait, Louis avait changé depuis sa résurrection. Il ne portait plus d’habits, mais une bure de moine dépourvue d’ornements et de bijoux. Il s’était fait raser le crâne et courbait sous une large capuche un visage tourmenté. Aucun, le croisant, n’aurait pu reconnaître le roi de France en ce personnage. Il passait de longues heures en compagnie de Suger, et la rumeur prétendait qu’on l’avait surpris au milieu d’artisans, clouant telle planche, portant telle pierre pour aider à l’achèvement de l’abbatiale.
Lorsque Aliénor émit le souhait de rejoindre Poitiers à l’approche des beaux jours, il refusa de l’accompagner. La reine ajourna son départ, considérant qu’il était peut-être trop tôt pour que le roi entreprenne un voyage. Mais elle sentait bien qu’il y avait autre chose.
Le pape ne levait pas son interdit : Louis tentait de racheter son âme. Raoul et Pernelle s’étaient retirés dans leur province, mais il fallait bien davantage pour que le roi obtienne le pardon du Saint-Siège.
Béatrice était où se trouvait le roi. On la voyait peu au palais. Suger l’avait réclamée à ses côtés, ne ménageant pas sa peine pour terminer son chef-d’œuvre. Et il était vrai que jamais encore on n’avait vu pareille splendeur. La nouvelle abbatiale s’élevait telle une dentelle de pierre dont il surveillait chaque détail, allant même, de sa frêle silhouette, jusqu’à choisir lui-même les matériaux ou les hommes.
La cour se réunit donc dans les plaines de Saint-Denis, tout près de ce gigantesque chantier, dès les premières chaleurs, pour mieux jouir du spectacle. On organisa des tournois et des pique-niques. De même que le roi, Béatrice n’y parut pas. Elle le suivait telle une auréole, épongeait son front et priait à ses côtés. Elle l’apaisait, le rassurait, l’éloignait des exigences de son épouse. Ravie de ce nouveau pouvoir.
Ce semblant d’équilibre dura jusqu’au début du mois de juillet 1143. Aliénor veillait à ce que ses malles soient faites selon ses ordres. La jeune femme qui remplaçait sa chambrière, clouée au lit par une étrange maladie qui lui avait ôté l’usage de ses membres, était un peu gauche et étourdie, mais Aliénor ne parvenait pas à lui en vouloir. La petite avait quinze ans et elle se retrouvait en sa fraîcheur.
Elle la chassa sitôt que je m’annonçai. Il faisait une chaleur crasseuse, et Aliénor ne tenait plus. La fraîcheur des jardins de l’Ombrière lui tardait. De plus, Pernelle y séjournait, car son ventre la forçait au repos. Tant pis pour le roi. Elle irait avec sa cour. Il resterait avec la sienne.
Elle se laissa tomber à la renverse, les bras en croix, au milieu des robes et des châles, sur son lit au dessus bleu brodé de lys blancs, en soupirant de lassitude. Je m’assis à ses côtés et caressai d’une main tendre un bout de cuisse que le mouvement de la robe avait dénudé. Aliénor commençait à en avoir assez des caresses trop douces. Son corps réclamait la brutalité d’un sexe d’homme que Louis ne lui donnait plus depuis Vitry. Elle avait bien accueilli en sa couche un de ses gardes, plutôt joli garçon, deux ou trois fois, mais craignait que sa réputation ne devienne un de ces piteux refrains de salle. Quant à Denys, il n’était plus question pour elle de le recevoir. Cela faisait trop longtemps, et elle avait failli l’aimer. Trop. D’ailleurs, il
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