Le livre du cercle
et il secoua la tête pour faire disparaître l’apathie
qui l’avait envahi depuis le conseil de guerre, juste après son initiation.
Quand le visiteur lui avait annoncé d’un ton solennel qu’il accompagnerait la
compagnie mandée au palais, il s’était efforcé de cacher sa réticence. Il se
sentait confus, comme engourdi.
Après
quelques instants durant lesquels il sembla marmonner des prières, Louis releva
la tête.
— C’est
un jour sombre. Un jour très sombre.
— J’ai
envoyé des messagers informer nos principales commanderies d’Occident de ce qui
est arrivé à nos frères, dit le visiteur.
Le
roi resta muet une longue minute, plongé dans ses réflexions.
— Baybars
réduit peu à peu nos forces. Le mois dernier, les Hospitaliers m’ont dit qu’il
s’était emparé d’Arsouf, et avant cela de Césarée et de Haïfa. Il a étendu son
empire au-delà de tout ce que nous aurions pu imaginer.
— Oui,
sire. Si nous ne réagissons pas rapidement, je crains qu’il ne reste bientôt
plus rien de nos* territoires. Les fortifications que vous avez fait construire
quand vous étiez en Palestine ne dureront pas longtemps sans hommes pour les
défendre. Safed était l’une de nos forteresses les mieux conçues et pourtant
Baybars a pu s’en rendre maître.
Le
visiteur semblait éprouver du regret, mais il parlait d’une voix déterminée.
— Nous
n’avons rien fait pour mettre un terme à cette guerre. Nous avons abandonné à
nos frères en Orient la défense de notre rêve. Maintenant, nous payons le prix
de notre inaction.
— Que
proposez-vous ?
Le
visiteur garda le silence quelques secondes. Quand il reprit la parole, Will
sentit la résolution et la fermeté de ses paroles.
— Le
Temple est prêt à mettre à contribution ses finances et ses hommes pour agir en
Orient, afin de contrer la menace de Baybars. Mais il faudra de nombreux mois
pour construire les bateaux nécessaires au voyage, et encore d’autres pour
l’accomplir. Il faut agir maintenant et nous avons besoin de votre soutien,
comme nous avons besoin du soutien de tous les hommes de bonne volonté, qu’ils
soient paysans ou monarques, de ce côté de la mer. Prenez la tête d’une
nouvelle croisade en Palestine, sire. Voilà ce que je propose.
Louis
croisa les mains sous son menton.
— Ce
n’est pas une proposition inattendue. J’étais récemment en contact avec mon
frère Charles, le comte d’Anjou. Il a déjà évoqué cette possibilité, qui
provoque en lui une grande exaltation.
Le
visiteur croisa le regard pensif du roi.
— Le
ferez-vous, sire ?
Louis
se renfonça dans son trône, sa cape vermillon enroulée autour de lui.
— Oui,
sire Visiteur, je lancerai une nouvelle croisade. Et les Sarrasins paieront
chèrement les vies qu’ils ont prises. Dès que ce sera possible, je prendrai la
Croix.
Alors
que le roi prononçait ces mots, Will sentit un vertige l’envahir. Un voile noir
tomba devant ses yeux et il vacilla. Il dut s’agripper au bras du chevalier
près de lui pour éviter de défaillir.
— Qu’y
a-t-il ? murmura le chevalier en le regardant. Tu es blanc comme un linge.
— Je...
J’ai besoin d’air, parvint à articuler Will en titubant vers les portes de
l’autre côté de la salle.
— Votre
homme se trouve-t-il mal ? demanda le roi.
—
Son père fait partie des hommes massacrés à Safed, sire, répondit le visiteur
tandis que Will poussait les portes en chancelant et sortait dans le couloir.
Les
torches, récemment allumées, brûlaient haut le long du corridor et la lumière
lui fit mal aux yeux. Will passa devant deux sergents, qui le dévisagèrent avec
curiosité, et se dirigea vers le bout du couloir, où une grande fenêtre cintrée
surplombait la Seine. Il s’agrippa au rebord, la respiration coupée, luttant
contre le vertige qui déferlait sur lui par vagues successives. Depuis ce
matin, le monde entier avait basculé et il ressentait maintenant cette
révolution dans les moindres fibres de son être. Quelques heures plus tôt, il
avait déterré le cadavre d’un étranger assassiné par des hommes comme lui et il
avait éprouvé de la honte pour la vilenie et la brutalité de leur acte.
Cependant que, dans le même temps, le corps de son père pourrissait en Palestine,
à cause d’hommes comme Hasan. Pourtant, Hasan n’avait pas mérité de se
retrouver dans une tombe, pas plus que son père n’avait mérité cette mort
solitaire, loin de tous ceux
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