Le livre du cercle
L’avant-garde
n’est pas loin derrière nous et le gros de l’armée suit de près.
Le chef
des éclaireurs fit trotter son cheval en s’approchant de Baybars et baissa la
voix, si bien que les autres officiers durent se pencher pour entendre.
— Leur
puissance est grande, émir, ils ont beaucoup de machines de guerre. Et
pourtant, d’après nos renseignements, il ne s’agit que d’un tiers de l’armée.
— Si
vous coupez la tête de la bête, le corps tombera, répondit Baybars.
Le
hurlement strident d’un cor mongol retentit au loin. D’autres se joignirent
rapidement à lui et un concert aigu et discordant s’éleva bientôt de l’autre
côté des collines. Les chevaux mamelouks, sentant la tension de leurs
cavaliers, se mirent à hennir en s’ébrouant. Baybars salua de la tête le chef
de patrouille, puis il s’adressa aux officiers.
— A
mon signal, sonnez la retraite.
Il
se tourna vers Ismail :
— Tu
chevaucheras à mes côtés.
— Oui,
émir, répondit Ismail, et son visage rayonna de fierté.
Pendant
dix à vingt secondes, les seuls sons qui se firent entendre furent ceux des
cors lointains et du vent soufflant sans répit à travers la plaine. À l’est, un
voile de fumée masqua le ciel tandis que les premières lignes des forces
mongoles apparaissaient en haut des collines. Les cavaliers firent une brève
pause au sommet, puis ils dévalèrent la pente et recouvrirent la plaine comme
une marée noire, les seuls éclats lumineux étant les reflets du soleil sur
l’acier.
Devant
le corps principal de l’armée, l’avant-garde était composée de cavaliers légers
équipés de lances et d’arcs, suivis par Kitbouga lui-même. De chaque côté, le
chef mongol était flanqué de guerriers vétérans vêtus d’un heaume en fer et
d’une armure lamellaire faite de bandes de cuir. Chaque homme avait deux
chevaux en réserve, et derrière cette énorme colonne roulaient les engins de
siège et les chariots remplis des richesses pillées par les Mongols au cours de
leur campagne. Ces derniers étaient conduits par des femmes qui portaient de
grands arcs dans le dos. Gengis Khan, qui avait fondé l’Empire mongol, était
mort trente-trois ans plus tôt, mais la puissance de son empire guerrier lui
survivait dans l’armée qui faisait face aujourd’hui aux Mamelouks.
Baybars
prévoyait cette confrontation depuis des mois, mais cela faisait bien plus
longtemps qu’il était habité par l’envie d’en découdre. Vingt années s’étaient
écoulées depuis que les Mongols avaient envahi son pays natal, ravageant les
terres et le bétail de sa tribu ; son peuple avait dû fuir devant l’agression
et solliciter l’aide d’un chef voisin qui les avait trahis en les vendant aux
marchands d’esclaves syriens. Quand un émissaire mongol était arrivé au Caire
quelques mois plus tôt, Baybars avait senti qu’il tenait là l’occasion de
prendre sa revanche sur le, peuple qui avait précipité sa déchéance dans
l’esclavage.
L’émissaire
était venu exiger de Qutuz, le sultan mamelouk, qu’il se soumette à la loi
mongole, et c’était cette injonction, au-delà même du récent assaut dévastateur
mené par les Mongols contre Bagdad la musulmane, qui avait finalement poussé le
sultan à agir. Les Mamelouks ne s’inclinaient que devant Allah. Pendant que
Qutuz et les administrateurs de l’armée, Baybars inclus, organisaient les
représailles, l’émissaire mongol avait été enterré jusqu’au cou dans le sable,
à l’extérieur des murs du Caire, et il avait eu quelques journées pour réfléchir
à son erreur avant que le soleil, les fourmis rouges et les rapaces ne
finissent le travail. Aujourd’hui, ceux qui l’avaient envoyé allaient recevoir
la même leçon.
Baybars
attendit que les premiers rangs de la cavalerie lourde arrivent au milieu de la
plaine, puis il tourna son cheval vers ses hommes. Dégainant un des sabres, il
le pointa vers le ciel. Les rayons du soleil frappèrent la lame incurvée, qui
scintilla comme une étoile.
—
Guerriers d’Égypte, cria-t-il, notre heure est venue. Avec cette victoire, nous
ferons de nos ennemis des monceaux de cadavres plus hauts que ces collines et
plus vastes que le désert. À la victoire !
— À
la victoire ! reprirent en chœur les soldats du régiment bahrite. Au nom
d’Allah !
Comme
un seul homme, ils tournèrent le dos à l’armée en approche et lancèrent leurs
chevaux au galop. Les Mongols,
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