Le livre du cercle

qu’il
venait de gravir.
    — Je
sais, dit Will en tournant le dos au panorama.
    Au-delà
des murs de la ville, la lumière du soir couvrait d’une teinte dorée les
plateaux qui s’étiraient à l’est, vers la Galilée, en s’élevant jusqu’au ciel,
dans un lointain presque indiscernable. Il n’avait jamais eu l’occasion d’aller
au-delà de ces collines, bien qu’elles fussent souvent dans ses pensées.
    — Baybars
est toujours en vie, insista Everard.
    — J’ai
dit que je savais.
    — Mais
l’attentat a au moins fait un mort parmi ses officiers, continua le prêtre. Un
ami à lui, à ce qu’on m’a dit. Le sultan a envoyé des troupes contre les
Assassins.
    Il
s’approcha du parapet et mima un bruit d’explosion avec ses joues fines comme
du papier.
    — Je
n’aimerais pas être à leur place. Sa vengeance va être terrible.
    — Ils
avaient le choix, rien ne les obligeait à accepter le contrat.
    — Mais
c’est toi qui le leur as proposé.
    — Je
sais que vous ne me le pardonnerez jamais, Everard, dit Will en se tournant
vers le prêtre. Mais il fallait bien que quelqu’un tente quelque chose. Ce que
vous faites pour la paix est tout à fait louable, mais l’autre camp n’y adhère
pas. Je ne veux pas rêver à des chimères.
    — Des
chimères ? répondit sèchement Everard. Comme tu prends tes distances ! En tant
que membre de l’Anima Templi, tu es la partie d’un tout. Oui, nous avons tous
des opinions et des idées différentes, mais au final quand nous parlons, c’est
d’une seule voix. Ton comportement récent est celui d’un potentat. N’as-tu pas
écouté un traître mot de ce que je t’ai dit sur Ridefort et Armand ? C’est
précisément pour empêcher ce genre d’acte que l’Âme du Temple a été fondée !
    — Vous
n’avez pas le droit de me comparer à eux.
    — Ah,
non? Ils ont utilisé le pouvoir de l’Anima Templi pour leurs propres fins. Que
croyais-tu faire quand tu as conclu un accord privé avec les Assassins en
faisant main basse sur notre or ? Qui servais-tu ?
    — Nous,
répliqua Will d’un air de défi. Le Temple. La Chrétienté.
    Everard
enfonça son doigt dans la poitrine de Will.
    — Tue
l’homme et tu en feras un martyr, c’est ce que je t’ai dit le soir où tu m’as
rapporté le livre. Pour nous ? Pour la Chrétienté ? Ne te berce pas d’illusions
! Tu n’agissais que pour toi. C’était ta revanche après la mort de ton père,
n’est-ce pas ?
    Le
prêtre s’interrompit. Sa respiration était hachée, il ne pouvait plus parler.
Il eut une intense quinte de toux, après quoi il se racla la gorge et cracha
des mucosités par-dessus le parapet.
    — Tu
ne m’as pas laissé l’opportunité de t’expliquer mon plan, William, reprit-il,
toujours en colère mais d’une voix plus calme car cet accès l’avait éreinté.
Mais peut-être suis-je aussi à blâmer. J’aurais dû venir te parler, je savais
que tu étais déçu par la lenteur de nos progrès.
    Will
fut surpris que le prêtre évoquât sa propre culpabilité.
    — Quel
plan ?
    Everard
renifla en observant les vergers. Des citrons pendaient aux branches.
    — C’est
très beau à cette époque de l’année, non ?
    Will
garda le silence et le prêtre se tourna vers lui.
    — Depuis
un moment, je suis en contact avec l’homme que ton père avait approché quand il
se trouvait ici. Un homme qui, contrairement à Baybars, est disposé à négocier.
    — Le
contact de mon père dans l’armée mamelouke ?
    — Oui.
    Will
attendit que le prêtre continue, ce qu’il fit au bout de quelques secondes.
    — Le
contact de ton père est l’émir Kalawun.
    — Kalawun
? fit Will, sous le choc. Mais n’est-ce pas le principal lieutenant de Baybars
? Il a dirigé l’invasion de la Cilicie, tué des milliers d’Arméniens. Comment
se peut-il qu’il travaille pour nous ?
    — Kalawun
désire la paix. Il veut ce qui est le mieux pour son peuple, et il comprend que
ce n’est pas forcément la guerre. Il a rapidement compris que Baybars
deviendrait un homme puissant, et il a manœuvré pour entrer dans le cercle de
ses hommes de confiance et obtenir de l’avancement. Mais au fil du temps, il
s’est rendu compte que la principale motivation du sultan est la haine qu’il
nous voue, une haine dont Kalawun estime qu’elle pourrait nuire à son peuple
autant qu’au nôtre. Il ne porte pas particulièrement les Francs dans son cœur,
mais il sympathise avec les objectifs de l’Anima