Le livre du cercle

écuries. Robert fait peut-être
l’idiot, mais au bout du compte, il suit les règles avec plaisir, comme tout le
monde ici. Même Garin semble davantage en paix avec lui-même dans sa prison
qu’il ne l’était avant. Vous aviez raison de me dire, il y a longtemps, que je
ne désirais être chevalier que pour mon père. J’ai passé tellement d’années à
espérer le manteau pour qu’il me voie le porter... Quand il est mort, j’ai
compris que je ne savais même pas ce que moi je voulais. Et puis il y a eu
Elwen et... Quand je me tourne vers l’avenir, Everard, je ne vois rien.
    — Tu
n’as pas besoin de savoir ce que te réserve l’avenir pour vivre le présent,
répondit brusquement Everard. Et tu n’as pas besoin de voir l’avenir pour
l’envisager avec confiance.
    — Mais
aujourd’hui, qu’est-ce que j’ai ?
    — Une
chance de changer l’avenir.
    Everard
réfléchit un instant.
    — Je
ne peux pas te dire comment te pardonner à toi-même, comment en finir avec ta
culpabilité. Mais je peux t’offrir un travail à accomplir. Je ne suis pas monté
jusqu’ici uniquement pour te sermonner. Je suis venu te proposer un choix.
L’Anima Templi va se réunir. Nous accueillons notre nouveau Gardien.
    — Un
Gardien ? Vous en avez trouvé un ?
    — Oui,
il m’aura fallu du temps mais j’y suis parvenu. Tu peux venir avec moi et te
joindre à notre conseil, ou je peux te libérer de tes liens.
    — Avec
l’Anima Templi, vous voulez dire?
    — Et
même avec le Temple, si tu le souhaites, maugréa Everard. Je sais que tu m’as
aidé à récupérer Le Livre du Graal uniquement pour devenir chevalier, et comme
tu viens de l’admettre, tu ne voulais devenir chevalier que pour faire plaisir
à ton père.
    — Ce
n’est pas vrai, ce n’est pas que pour ça que je vous ai aidé.
    Everard
balaya ses paroles d’un geste de la main.
    — Je
ne te blâme pas d’avoir voulu en finir avec ton apprentissage. J’ai joué un
grand rôle dans ta frustration. Mais il est grand temps que tu décides enfin
quelque chose par toi-même. De préférence quelque chose qui ne nous fera pas
mourir... Dans Le Livre du Graal, les chevaliers guident Perceval dans sa
quête, mais à la fin lui seul doit décider du dénouement qui amènera ou la
réconciliation des trois croyances, ou l’abandon de tout espoir de paix. Il
choisit la réconciliation. Mais auparavant il fait quelques erreurs. C’est à
toi de choisir, William. Viens travailler avec nous pour la paix, ou trouve une
autre route qui te convienne. Mais quel que soit le chemin que tu prendras, il est
temps de te mettre en marche.
    Will
regarda à l’est, vers les collines. Pendant leur conversation, le soleil
s’était couché et les premières étoiles apparaissaient maintenant, brillant au
loin dans le ciel septentrional. Une brise chaude apportait des senteurs mêlées
d’olive, de sel, de foin et de cuir. En bas, dans la citadelle, il entendait
des hommes parler et, de temps à autre, le hennissement d’un cheval. De la
ville lui parvenaient, assourdis, le bruissement du bétail, le carillon des
cloches et le rire d’un enfant. Autour de lui, la vie continuait avec son
environnement familier et rassurant.
    Everard
avait raison : son père était venu ici par altruisme. Il le savait déjà à
Paris, depuis le jour où Louis avait accepté de prendre la Croix. Entre-temps,
la clarté et la pureté de l’amour qu’il portait toujours à son père s’étaient
teintées d’amertume et de ressentiment. Les raisons pour lesquelles il était
venu ici n’étaient pas aussi nobles que celles de son père, c’est l’égoïsme qui
l’avait poussé à agir pendant tout ce temps. Il avait failli ruiner tout ce
pour quoi James s’était battu. Mais on lui donnait une nouvelle chance. Il
devait la saisir. D’autres hommes mourraient, d’autres fils perdraient leur
père s’il ne la saisissait pas. Son appétit de vengeance, de guerre, de sang
était issu de sa culpabilité. Il avait trahi les idéaux de l’Anima Templi non
parce qu’il n’y croyait pas, mais parce qu’il ne voulait pas y croire, parce
qu’il avait tout fait pour assouvir sa vengeance. Le chemin de l’absolution, il
le comprenait maintenant, ne passait pas par là. Il lui fallait aider Everard
et l’Anima Templi à réaliser le souhait de son père, un souhait, il s’en
apercevait en regardant la ville sereine à ses pieds, qui était aussi le sien.
    — Je
veux rester.
    —