Le livre du cercle
Templi car il sait que son
peuple bénéficierait comme nous de la poursuite du commerce entre nos nations.
D’après ce qu’il m’a dit, ton père lui avait fait forte impression. Pour
maintenir sa position d’influence auprès de Baybars, Kalawun a continué à
exécuter les ordres qu’on lui donnait, même si ces ordres allaient à l’encontre
de ses opinions personnelles. S’il s’était déclaré pour la paix, il aurait tout
perdu. Il fallait qu’il prouve son engagement. Parfois, la paix se paie au prix
du sang.
— Mais
si tout ça est vrai, que peut faire Kalawun contre Baybars ? Il a peut-être du
pouvoir, mais il n’est pas sultan. Comment pourra-il changer quoi que ce soit?
— Lentement,
répondit Everard. C’est comme cela qu’il faut agir. Kalawun n’attaquera pas
directement Baybars, mais il se met en place pour affermir sa mainmise sur le
trône à la mort de Baybars. L’héritier du sultan, Baraka Khan, est récemment
devenu son gendre et Kalawun essaie d’accroître son influence sur le garçon. Si
ton plan avait réussi et que Baybars avait été assassiné sur ordre d’un Franc,
les Mamelouks auraient lancé toutes leurs forces pour assouvir leur vengeance.
Nous aurions connu un deuxième Hattin. Vu notre état de faiblesse, la fureur
des Mamelouks nous aurait probablement fait perdre le peu qu’il nous reste, ainsi
que tout espoir de paix, voire d’amitié. Mon plan requiert davantage de temps,
mais c’est le plus sûr moyen d’arriver à nos fins en évitant que trop de sang
soit répandu. Si Baybars meurt, que ce soit au combat ou dans son lit, le
prochain sultan pourrait devenir notre allié. Imagine :e que nous pourrions
accomplir, William, si nous utilisions nos langues plutôt que nos épées.
Will
regardait fixement le prêtre.
— Pourquoi
ne pas m’avoir parlé de tout ça plus tôt ? Si j’avais su, je n’aurais pas... Je
ne savais pas.
Il
secoua la tête, les épaules basses.
— Je
ne voulais pas savoir.
— Je
t’ai déjà vu ici, les yeux braqués au loin, fit Everard en désignant les
plaines. Tu ne trouveras rien par là que la haine et la mort, c’est ce que tu
m’as dit par le passé. Est-ce cela que tu vois ?
— Je
ne vois rien, murmura Will. Ce que je cherche n’est pas là.
— Ton
père, dit Everard en hochant la tête. Je ne suis pas aveugle, William. Tu te
tournes vers Safed comme les musulmans vers La Mecque. Il faut que tu arrêtes,
ou cette douleur te dévorera de l’intérieur.
— Il
me manque, Everard, dit Will d’une voix étranglée par l’émotion. Il me manque
tellement.
En
prononçant ces mots, Will s’était pris la tête entre les mains. Everard ne
répondit pas. Au bout d’un moment, il empoigna les épaules du jeune homme.
— Regarde-moi,
William. Je ne peux pas te rendre ton père, personne ne le peut. Mais je peux
te dire qu’il n’est pas mort en vain. Grâce à ce qu’il a accompli avec Kalawun,
nous verrons peut-être les peuples de ce monde faire la paix.
— Je
n’ai jamais eu l’occasion de lui demander pardon.
— Je
ne sais pas ce qui s’est passé entre ton père et toi. Ce que je sais, c’est
qu’il t’aimait. Je ne l’ai rencontré qu’une fois mais je l’ai remarqué tout de
suite. C’était évident. Il n’est pas venu ici parce qu’il voulait te quitter,
mais pour mener à bien une mission que peu d’hommes sur cette terre désolée ont
jamais eu le cœur ou le courage d’entreprendre. Il n’est pas venu ici pour
lui-même, ni pour l’argent ou le pouvoir, pas même pour Dieu. Il est venu parce
qu’il croyait en un monde meilleur, un monde qu’il voulait contribuer à faire
advenir, et pour cela j’honore sa mémoire. Comme tu devrais l’honorer.
— Il
ne m’a jamais absous.
— As-tu
jamais réfléchi au fait que la seule personne qui puisse te pardonner, c’est
toi-même ? Quelle que soit la faute que tu as commise envers ton père, quels
que soient les péchés dont tu te sens coupable, son absolution t’en aurait-elle
libéré? Je suis prêtre, William. Je peux absoudre un homme aux yeux de Dieu,
mais s’il ne se pardonne pas lui-même, il vit avec ses fautes jusqu’à la fin de
ses jours, quand bien même Dieu lui ouvrirait les bras à sa mort.
— Je
n’arrive pas à me pardonner. Je ne peux pas changer qui je suis. Mes amis, les
hommes avec qui je parle, ils savent tous ce qu’ils veulent. Et ils s’en
contentent. Simon est heureux de travailler aux
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