Le livre du cercle
ne
supportait pas la guerre. Il essayait de ne pas me le montrer, mais c’était
évident.
Le
sourire de Baybars s’évanouit.
— Et
toi, Kalawun ? Ton conseil serait-il le même ?
— Oui,
seigneur.
Baybars
garda le silence quelques instants. Puis, il se détourna de la fenêtre.
— Alors,
qu’il en soit ainsi, dit-il abruptement. Envoie un messager en Acre annoncer
aux Francs que j’accepte. Je vais leur donner la paix qu’ils réclament. Pour le
moment.
À la
nuit tombée, Baybars quitta la citadelle et marcha à travers la ville, vêtu
d’une cape sombre et d’un turban. Deux guerriers bahrites le suivaient
discrètement, à quelque distance, portant chacun une torche.
Quand
il atteignit la grange, Baybars ordonna aux deux guerriers de l’attendre dehors
et il y pénétra seul. Les dernières fois qu’il était venu, il avait découvert
les signes d’une présence. Des enfants, avait-il supposé en voyant les dessins
au charbon sur le sol. Les pétales d’hibiscus qu’il entassait à chacune de ses
visites avaient été éparpillés. Il ne lui apportait pas de fleurs ce soir. Les
mains vides, il s’agenouilla sur la terre sèche et ferma les yeux. Il la revit
telle qu’elle était trente ans plus tôt. Le temps qui passait et la guerre
avaient épargné son visage. Elle avait toujours seize ans, elle les aurait
toujours, sa peau lisse ne porterait jamais de ride et ses cheveux seraient
toujours d’un noir brillant. Elle riait, plongeait ses mains dans un seau et
l’aspergeait tandis qu’il coupait du bois dans un coin de la grange. Sa
poitrine était couverte de récentes marques de coups de fouet. Elle le fit
rire, puis il finit par apercevoir une ombre derrière la porte. Il ne voulait
pas savoir depuis combien de temps leur maître se tenait là, à les observer.
Baybars
ouvrit les yeux mais l’image demeura : la croix rouge sur le manteau blanc du
chevalier. Comme une marque au fer rouge sur sa rétine. Il toucha ses lèvres du
bout des doigts, puis les posa sur le sol.
— Il
faut que je me repose, mon amour, avant de terminer ce que j’ai commencé. Je
suis fatigué. Si fatigué.
.
Baybars s’attarda encore un peu, puis il se leva et ressortit.
— Brûlez-moi
tout ça, dit-il aux deux Bahrites qui l’attendaient.
Il
s’arrêta pour prendre une fleur dans le buisson d’hibiscus à l’extérieur avant
de partir.
Dans
son dos, les flammes commencèrent à monter vers le ciel.
Chapitre 46
Le Temple, Acre
15 mai 1272 après
J.-C.
Assis
à sa table de travail, Everard taillait le bout d’une plume avec un petit
couteau. À cause de ses yeux affaiblis, il devait se concentrer pour effectuer cette
tâche délicate. Will entra mais il ne leva pas la tête.
— Tu
les as ?
Everard
donna un dernier coup de couteau à la plume et la laissa retomber sur la table
au moment où Will y déposait une bourse en cuir. Le prêtre défit les cordons et
étala le velours jusqu’à obtenir une surface plane. Les rayons du soleil
entrant par la fenêtre firent scintiller la poignée de pierres : cinabres,
agates, malachites et lapis-lazulis
— Magnifique.
L’encre que je vais en tirer durera mille ans.
Everard
leva les yeux sur Will en refermant la bourse.
— Je
les réduirai en poudre demain. Merci. Je serais bien allé moi-même au marché,
mais... j’ai à peine la force de sortir de mon lit en ce moment.
Il
se leva avec difficulté et claudiqua vers son armoire.
— Je
veux aller à Césarée, Everard.
— Quoi
? fit Everard en se retournant.
— Je
veux y emmener le traité.
Le
prêtre rangea la bourse sur une étagère et referma l’armoire.
— Comment
en as-tu entendu parler ? Ça n’a même pas encore été annoncé.
— On
a demandé à Robert de Paris d’y aller.
Everard
secoua la tête.
— Eh
bien, peu importe comment tu es au courant, c’est hors de question.
— Pourquoi
? demanda Will d’une voix calme, et même plate, car il ne voulait pas que son
envie soit trop visible.
Everard
fronça les sourcils.
— Tu
sais très bien pourquoi, je pense. Tu as engagé des Assassins pour le tuer, par
Dieu !
— C’est
pour cette raison que je veux y aller.
— Parce
que tu as échoué la première fois ?
Everard
avait pris un ton ironique, mais son visage révélait son inquiétude. Il fit un
petit geste de la main, comme pour écarter le problème d’une chiquenaude.
— Et
de toute façon, reprit-il, la compagnie qui va emmener le
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