Le livre du cercle
est d’accord, dit Kalawun en jetant un coup d’œil à Baybars.
— S’il
vous plaît, père, supplia Baraka.
— Va
voir Sinjar et demande-lui de t’aider à terminer ton travail. Je veux discuter
avec Kalawun en privé.
Baraka
voulut protester, mais il retint ce qu’il avait sur le cœur. À la place, il
alla à grands pas vers la table, ramassa ses papiers et se dirigea vers la
sortie.
— Votre
plume ! lui cria Kalawun avant qu’il ne disparaisse.
— Les
domestiques iront m’en chercher une autre, répondit le garçon avec mauvaise
humeur. C’est à ça qu’ils servent.
Kalawun
le regarda partir, puis il se tourna vers Baybars.
— Vous
m’avez fait demander, seigneur ?
Le
sultan se leva d’un air fatigué et se dirigea vers un grand coffre.
— On
dirait bien que mon fils t’aime plus que moi, maintenant.
Il
lança un bref regard à Kalawun, puis il souleva le couvercle du coffre et en
sortit un rouleau de parchemin.
— Il
est plus facile pour lui de m’aimer, seigneur. Ce n’est pas moi qui fais preuve
d’autorité à son égard.
Baybars
lui tendit le rouleau et se rassit. Kalawun le déroula et commença à le
déchiffrer.
— Les
Francs proposent une trêve... murmura-t-il tout en lisant. Quand avez-vous reçu
cette offre ?
— Hier.
— En
avez-vous déjà parlé à quelqu’un ?
— Tu
es le premier, répondit Baybars en secouant la tête.
— C’est
signé par le roi de Sicile.
— Oui.
Comme il l’explique dans la lettre, Charles d’Anjou veut servir d’intermédiaire
entre les Francs et moi car il craint les répercussions des opérations menées
par le prince Édouard. Il pense sans doute, je suppose, que nos bonnes
relations antérieures aideront à me faire accepter cette proposition.
— Ils
n’exigent rien d’excessif en contrepartie, dit Kalawun en survolant les termes
de l’offre. Ils demandent seulement à conserver leurs positions actuelles.
— Il
est évident qu’ils voient cela comme une option temporaire. Si les Francs
voulaient vraiment la paix, ils partiraient. Ils ne resteraient pas ici, à
négocier avec moi.
— Les
Mongols sont plus menaçants que les Francs, répondit Kalawun au bout d’un
moment. Nous avons repris la plupart des terres qui appartenaient aux Francs et
il leur sera impossible de réunir une force suffisante pour s’opposer à nous
dans un futur proche. Même s’ils ne souhaitent pas faire durer la paix
éternellement, ce pourrait être dans notre intérêt d’accepter.
— Je
n’ai jamais eu l’intention de faire la paix avec les Francs, fit Baybars d’une
voix grave. Je disais toujours à Omar que nous ne nous déferions jamais de
l’influence de l’Occident en usant de clémence, comme le fit Saladin en son
temps, c’est-à-dire en ouvrant des négociations avec eux.
Il
se leva et alla se placer devant la fenêtre.
— Pour
le bien de notre peuple, raisonna Kalawun, nous devons parfois trouver des
compromis. Nous ne devrions pas diviser nos forces contre deux armées alliées,
même si l’une est considérablement affaiblie. Surtout quand on nous offre un
peu de répit.
— Le
bien de notre peuple, tu dis ? Je ne sais plus ce qu’est le bien. Pas depuis
qu’Omar... depuis qu’il est mort.
Cela
faisait six mois que Baybars avait enterré l’officier. Les deux Assassins
avaient été brûlés sans cérémonie, ainsi que leur voiture. On avait retrouvé
les deux artistes qui devaient à l’origine se produire durant la fête de
fiançailles dans une pension en ville. À en juger par l’état de décomposition
de leurs cadavres, ils étaient morts depuis un bon moment. Depuis assez
longtemps en tout cas pour que les deux Assassins aient eu le temps de répéter
leur spectacle. Baybars avait ensuite complètement anéanti la secte, mais bien
que sa revanche eût été assouvie, personne ne pouvait prendre dans son cœur la
place qu’y occupait Omar. Et ce vide n’avait fait que s’accentuer au fil des
mois. Il lui arrivait encore de convoquer Omar ; les domestiques lui
rappelaient alors avec nervosité que son ami n’était plus là.
— Je
ne saisissais pas à quel point j’avais besoin de lui, reprit-il. Je ne crois
pas le lui avoir jamais dit. Ses conseils me manquent.
— S’il
avait été là, que pensez-vous qu’Omar vous aurait suggéré, seigneur? lui
demanda Kalawun.
Baybars
sourit légèrement.
— Il
m’aurait conseillé d’accepter. C’était un guerrier, mais au fond il
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