Le livre du cercle
étudier des documents posés sur la table.
Le front de son fils était plissé et sa mâchoire contractée en une attitude
concentrée. Une agréable brise soulevait légèrement les parchemins. Baybars
prit sa coupe de koumys et la vida. Il la reposa, un domestique approcha et la
remplit avant de reculer à sa place. A travers les fenêtres leur parvenait le
bruit des hommes réparant les portes de la citadelle endommagées quatre mois
plus tôt, lors de l’attaque de la ville par les Mongols.
En
octobre, un tumen envoyé d’Anatolie par l’Ilkhan de Perse avait fondu sur la
ville, infligeant une défaite à la garnison laissée sur place par Baybars alors
qu’il se trouvait avec l’essentiel de son armée à Damas, dans le sud, pour y
attaquer des forteresses franques. Les Mongols avaient pris la citadelle en y
semant la panique, même si leurs cavaliers avaient finalement tué assez peu
d’hommes et détruit peu de bâtiments. Mais quand la troupe de dix mille hommes
à cheval avait poursuivi son raid vers le sud et que les craintes de la population
musulmane s’étaient transformées en terreur pure et simple, Baybars avait
tourné son armée vers le nord pour la contrer. Dépassé en nombre, le tumen
s’était finalement retiré en Anatolie.
Au
moment où les Mongols attaquaient dans le nord, une compagnie de Francs dirigée
par un prince anglais du nom d’Édouard, un homme dont Baybars avait souvent
entendu parler au cours des derniers mois, avait conduit une attaque dans les
régions du sud, aux environs de la plaine de Sharon. L’attaque en elle-même
n’avait abouti à rien, mais elle avait donné à Baybars l’impression très nette
qu’il ne fallait pas sous-estimer le prince. La tentative du roi Louis avait
peut-être échoué, mais le frère du roi, Charles d’Anjou, était l’oncle
d’Édouard, et malgré la relative cordialité des rencontres qu’il avait eues par
le passé avec le roi de Sicile, ces deux hommes incarnaient pour Baybars la
menace potentielle d’une nouvelle croisade.
Khadir
l’avait également ressenti et lui conseillait d’agir prudemment vis-à-vis du
prince.
— Il
est peut-être jeune, avait marmonné le devin, mais c’est un lion. Je le vois.
— Ou
c’est ce que tu entends à la cour, avait sèchement répondu Baybars.
— Il
est comme vous, maître, quand vous étiez jeune.
Baybars
vida le reste de son koumys et leva les yeux
vers
Baraka, qui bâillait lourdement.
— As-tu
fini ?
— Je
n’y arrive pas, s’énerva Baraka en jetant sa plume au sol et en barbouillant
d’encre les carreaux de faïence. Sinjar me donne des problèmes trop difficiles,
il le fait exprès. Il sait très bien que je ne peux pas les résoudre !
— Il
les choisit pour que tu apprennes, dit Baybars d’une voix lasse.
— Est-ce
que je pourrais finir demain, père? demanda Baraka en se retournant pour
regarder Baybars. Je voudrais aller à la chasse cet après-midi. Kalawun a dit
qu’il m’y emmènerait.
— Tu
pourras y aller quand tu auras terminé tes leçons.
— Mais,
père...
— Pas
de discussion ! le coupa Baybars en posant avec violence sa coupe sur la table.
Face
à l’irascibilité de son père, Baraka tressaillit et préféra replonger dans ses
problèmes d’algèbre en soupirant d’un air résigné.
— Est-ce
que je vous dérange, seigneur ?
Baraka
et Baybars se tournèrent et virent Kalawun sur le seuil. Il était presque aussi
grand que le sommet des fenêtres. Il avait attaché ses cheveux noirs luisants,
qui commençaient à blanchir autour des tempes, en une queue-de-cheval qui
durcissait encore ses traits acérés, et il portait une cape bleu royal - la
couleur de son régiment.
— Emir
Kalawun ! s’exclama Baraka en sautant sur ses pieds.
Il
traversa la pièce en courant et lui prit la main.
— Venez,
asseyez-vous avec moi. Aidez-moi à finir mes leçons.
Kalawun
sourit au garçon.
— Je
suis sûr que vous vous débrouillez très bien tout seul.
— Pas
du tout, dit Baraka en faisant la moue, mais c’est parce que les leçons de
Sinjar sont stupides.
— C’est
un bon professeur, répondit doucement Kalawun. Vous devriez le tenir en
meilleure estime. C’est lui qui m’a appris l’arabe quand je me suis enrôlé dans
l’armée mamelouke.
Baraka
lâcha sa main et regarda le sol d’un air morose. Soudain, son visage s’éclaira.
— Vous
m’emmenez à la chasse, comme vous me l’avez promis ?
— Si
votre père
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